Dimanche 26 décembre, une figure emblématique de la lutte contre l’apartheid quitte ce monde à l’âge de 90 ans, plongeant l’Afrique du Sud dans un deuil profond.
Homme de grande foi, doublée d’un sens de l’humour, Desmond Tutu était aussi populaire dans son pays et sur le continent que Nelson Mandela.
Ils ont, ensemble, incarné le combat contre l’apartheid et plaidé pour une réconciliation raciale.
L’homme qui surnomma l’Afrique du Sud, « Nation arc-en-ciel » est un pourfendeur des racistes blancs et adepte de la théologie de la libération latino-américaine.
Il est vite passé en militant, critiquant les niveaux élevés de violence et de corruption atteints dans le pays, la plus importante économie d’Afrique.
Fils d’un instituteur et d’une lavandière, il voit le jour le 7 octobre 1931 à Klerksdorp, à 150 km de la mégapole Johannesburg. Sa famille déménage à Johannesburg quand Desmond a douze ans.
C’est dans cette ville qu’il acquiert ses armes. Il se lance dans les études de médecine, mais décroche faute des moyens. Il s’oriente alors vers l’enseignement, sur les traces de son père.
En 1954, simple enseignant mais syndicaliste, il va démissionner trois ans plus tard pour protester contre la mauvaise qualité de l’enseignement donné aux Noirs.
La révolte et l’esprit du militantisme s’emparent de Desmond Tutu qui prend le chemin, désormais, de la théologie.
« Quand nous avons rouvert les yeux, nous avions la Bible et le blanc avait déjà la terre »
Desmond Tutu devient prêtre de l’Église anglicane en 1961 et se voit confier l’aumônerie de l’université de Fort Hare, la seule de qualité pour les Noirs d’Afrique du Sud et d’Afrique australe.
Deux ans plus tard, il pose ses valises à Londres et décroche un Master. De retour dans son pays, il renoue avec l’enseignement en tant que professeur, retourne encore en Angleterre, cumule des fonctions au Conseil œcuménique des Églises à Bromley dans le Kent jusqu’en 1975.
Le professeur sort alors de l’ombre lorsqu’il est propulsé à la tête du diocèse de Johannesburg en 1975 et devient premier Noir à occuper ce poste. L’année suivant sa nomination, un évènement va l’irriter : des racistes blancs de l’armée répriment des émeutes écolières de Soweto, le 16 juin 1976.
Desmond Tutu dénonce la violence. Il ne cessait d’affirmer avec humour : « Quand l’homme blanc est arrivé, il avait la Bible et nous avions la terre. L’homme blanc nous a dit : Venez, agenouillons-nous et prions ensemble. Quand nous avons rouvert les yeux, voilà ! nous avions la Bible et le blanc avait déjà la terre ».
En 1978, il est le premier secrétaire général noir du Conseil œcuménique d’Afrique du Sud, poste qu’il occupa 7 ans durant.
Le prélat est connu en dehors des frontières sud – africaines pour ses sermons et prédications, mais aussi pour ses critiques aussi bien contre l’apartheid subi par les Noirs qui réclament vengeance. Ses prédications contribuèrent à la lutte pacifique menée contre les racistes. C’est pour ce combat pacifiste qu’il reçoit le 16 octobre 1984, le prix Nobel de la paix.
Deux ans après cette récompense qui lui donne une stature internationale, il est nommé archevêque du Cap de l’Église anglicane. Il y mobilise des foules contre la ségrégation raciale et chapeaute des campagnes de boycottage, dont celle du charbon d’Afrique du Sud.
Il milite également pour des écoles communes, qui représentent pour lui une étape essentielle dans la réconciliation de l’Afrique du Sud.
Il a également été président de la Commission « Vérité et Réconciliation », chargée de faire la lumière sur les crimes et les exactions politiques commis durant la période d’apartheid.
L’ANC « pire que l’apartheid »
Ce processus est considéré comme l’une des pierres angulaires de la réconciliation nationale en Afrique du Sud. Tutu avait enquêté sur les violations des droits de l’homme commises entre le 1er mars 1960 lors du massacre de Sharpeville et le 5 décembre 1993 après la fin de la transition.
Très proche de Nelson Mandela, l’archevêque ne s’empêchait pas de dresser des réquisitoires sévères contre le pouvoir sans se faire mépriser par Mandela.
Il était de tous les combats pendant un demi – siècle, malgré son cancer de prostate diagnostiqué dans les années 90, avant d’être guéri 5 ans plus tard.
Ceux qui le considéraient comme proche de l’ANC [Congrès national africain] de Mandela avaient été désillusionnés lorsqu’en 2011, deux ans après l’accession de Jacob Zuma à la présidence, il affirme : « un jour, nous commencerons à prier pour la défaite de l’ANC ». Il n’avait pas hésité à dire que le gouvernement piloté par l’ANC était « pire que l’apartheid ».
En mai 2013, Tutu a retiré son soutien au Congrès national africain au pouvoir – le parti de Mandela – décrivant l’Afrique du Sud comme « la société la plus inégalitaire au monde ».
Il était un critique virulent de l’ancien président Jacob Zuma, qui a été contraint de démissionner en 2018 à la suite de nombreux scandales de corruption.
Durant la dernière décennie, il a dénoncé les injustices dans le monde, les violations des droits de l’homme comme au Sri Lanka ou les lois anti-homosexuelles en Ouganda.
S’il était tolérant vis-à vis des homosexuels, il y avait un fait derrière : sa fille Mpho Tutu-van-Furth avait épousé civilement la professeur d’Université néerlandaise Marceline van-Furth, en 2015, aux Pays-Bas. Les deux femmes étaient divorcées d’un précédent mariage hétérosexuel et ont des enfants.
« Dieu n’est pas un chrétien »
En toile de fond, il peste contre les inégalités sociales, la pauvreté, mais aussi contre la corruption des nouvelles élites noires. Devenu bête noire des gouvernants, il avait été mis à l’écart lors des funérailles de son ami, Nelson Mandela.
Son livre « Dieu n’est pas un chrétien » en dit long sur son combat à réconcilier le monde dans sa diversité spirituelle.
Le président Sud-Africain Cyril Ramaphosa, qui avait annoncé sa mort, dimanche, a affirmé que l’archevêque vétéran homme était d’une « intelligence extraordinaire, intègre et invincible ».
Il était aussi « tendre et vulnérable dans sa compassion pour ceux qui avaient souffert de l’oppression, de l’injustice et de la violence sous l’apartheid, et pour les opprimés et pour les oppresseurs du monde entier », affirme Ramaphosa.
C’est un nouveau chapitre de deuil dans « l’adieu de notre nation à une génération de Sud-Africains exceptionnels qui nous ont légué une Afrique du Sud libérée », selon le chef d’Etat.
Tutu était critique de l’ancien président américain Donald Trump et paraissait en ardent défenseur du peuple palestinien.
Sa santé s’est à nouveau détériorée récemment, avec une série d’hospitalisations pour des infections et inflammations.
Tutu laisse dans le deuil sa vieille épouse Leah Nomalizo, ses quatre enfants et sept petits-enfants.
Avec Anadolu