Il était là, comme d’habitude, le jour où j’ai quitté Conakry pour mon présent voyage. Mamadou Saïdou Bah « Anna » était toujours présent et engagé aussi pour ses amis, en homme de toutes les fidélités et esclave de toutes ses amitiés. Ce moment comme tant d’autres avant, ordinaire, banal, après sa disparition inattendue est maintenant l’image ultime de l’homme, vécue avec une certaine nostalgie et un profond chagrin. Le regard et le sourire complices de l’instant d’aurevoir sont pour moi le souvenir insupportable d’un adieu forcé et cruel.
Certes, la mort est le sort de chacun, mais, elle fait aussi notre malheur à tous. Apprendre de loin le décès d’un proche côtoyé au quotidien, est une épreuve de plus, après la sensation de deuil ressentie dans cette douloureuse circonstance comme une blessure de l’âme.
Pour l’ami anonyme et le frère révélé et rêvé que Anna fut jusqu’au bout, j’ai un sentiment d’infinie reconnaissance pour avoir été là pour ma famille, mes amis et moi-même, surtout pendant les temps difficiles que nous traversons tous dans nos vies.
Anna n’a jamais changé, ni varié, au contraire, c’est lorsque tout le monde doute et se montre distant que lui, est le plus déterminé et acharné à défendre encore l’ami, sans jamais désemaprer, ni se poser la question de savoir ce qu’il gagne ou pourrait souvent perdre.
Il ne pensait pas beaucoup à lui, voué qu’il était à servir les autres et à manifester à ses amis et ses soutiens sa solidarité et sa loyauté. A ses yeux, c’était la marque de sa gratitude, mais surtout la preuve qu’il est un homme de grande dignité, profondément attaché à son honneur.
A-t-il vu la mort venir, distrait par la vie et préoccupé par et pour les autres ?
Dans la solitude de son domicile, lui qui disait ne pas aimer « déranger », et avait donc des fréquentations bien choisies, pleinement assumées, est parti loin des bruits de la cité, littéralement coupé aussi d’une société oú il a vécu dans la grandeur des héros anonymes et le bonheur des personnes qui aiment les autres et y trouvent leur raison de vivre et de croire.
Anna a vécu comme il voulait, libre et incontrôlable, dans l’insouciance des innocents et la naïveté des personnes désintéressées.
Mais il a dû subir la mort, bien qu’en général vigilant et très méfiant. Cette fois-ci , alors qu’il vit d’habitude entouré des autres, au-delà de sa vulnérabilité naturelle, personne n’a pu le secourir. Ce sera l’éternel regret, car on ne se résignera jamais à accepter que nous vivons pour mourir. C’est le goût de la vie, en attendant la revanche de la mort.
Tu nous manqueras Anna, parce qu’on ne t’oubliera pas, toi qui n’a jamais été absent et nous a réconcilié avec l’amitié qui dure et ne finit pas.
Tibou Kamara