Des cadres de l’Agence Nationale de Financement des Collectivités ‘’ANAFIC’’ ont effectué récemment des missions de sensibilisation mais aussi d’inspection dans les préfectures minières dont Dinguiraye. Celle de la cité sainte d’Elhadj Oumar Tall a été conduite par Mme Marlyatou BAH, responsable nationale de suivi évaluation au niveau de cette agence en charge de financement des collectivités. Au retour à Conakry de cette mission, notre rédaction est allée à la rencontre de la cheffe de mission. Objectif, connaître les raisons de leur voyage sur Dinguiraye, avoir le résumé de leur rapport sur le constat fait sur le terrain, les mesures envisagées ainsi que les perspectives. Lisez cette interview exclusive à bâtons rompus !!!
www.lavoixdupeuple.info: Bonjour madame Marlyatou Bah, vous êtes responsable de suivie évaluation à l’ANAFIC, vous rentrez d’une mission à Dinguiraye dont vous étiez la cheffe. De quoi a-t- il été question lors de cette mission ? Quel était son objectif ?
Madame Marlyatou Bah : Nous avons été mandatés par notre organisation pour réaliser une mission dans la préfecture de Dinguiraye. La mission a été commanditée par le Ministère de l’Administration du territoire et de la décentralisation en collaboration avec l’agence ANAFIC. Objectif, était de procéder à une large sensibilisation de tous les acteurs sur les dispositifs d’accompagnement dans les zones impactées par les activités minières, parce qu’avec le département il a été décidé que désormais c’est l’ANAFIC qui doit être chargée de gérer tous les fonds en direction des collectivités locales, notamment le fonds national du développement local de la Guinée (FNDL), le fonds de développement local (FODEL) etc. Donc dans la perspective de prendre des informations de base pour savoir comment l’ANAFIC reprend les activités du FODEL, il a été décidé de réaliser des missions dans les différents sites d’exploitation pour lesquels un fond a été attribué. Donc, des missionnaires ont été envoyés dans les préfectures de Siguiri, Boké et à Dinguiraye. En Basse Guinée, c’est notamment à Boffa et à Boké, que les missionnaires ont effectué le déplacement où les deux sites ont été visités.
Le but principal était de faire d’abord une sensibilisation sur le nouveau mécanisme utilisé par l’ANAFIC. Ensuite, il était question pour nous, de disposer assez d’informations sur tous les aspects de gestion du FODEL, c’est-à-dire les aspects liés aux finances, les versements effectués par les sociétés minières, les mécanismes de transfert vers les bénéficiaires, mais aussi les situations des comptes bancaires à l’état, au moment où nous reprenons la gestion du FODEL. Donc, à Dinguiraye nous avons eu la chance que notre mission ait coïncidé à la passation de service entre l’ancien préfet sortant et celui entrant, et à cette occasion tous les maires étaient conviés à Dinguiraye pour prendre part à la cérémonie, et nous avons proposé que les maires élargissent leur présence à Dinguiraye en se faisant accompagner de certains groupements d’intérêts économiques ‘’GIE’’, qui ont déjà bénéficié du fonds FODEL. Donc, après la passation de service, nous nous sommes entretenus avec l’ensemble des maires de Dinguiraye, nous avions préalablement préparer une série de questions et nous avons entretenus avec les élus locaux en général et ils ont pu nous donner l’opportunité d’aller en longs et en large sur la gestion passée du FODEL, de ce qu’ils ont en perspectives et les améliorations qu’ils nous ont suggéré pour le futur.
Quel a été votre constat dans le cadre du fonctionnement du FODEL lors des échanges avec ces élus locaux ?
Après avoir sensibilisé les populations sur le nouveau dispositif, nous avons constaté une large ouverture parce que l’ANAFIC a déjà un passé avec le FNDL, les élus locaux connaissent déjà le mécanisme de gestion du FNDL. Je pense qu’il y avait une certaine appropriation, on a senti qu’en général les élus étaient très favorables à la gestion d’un fonds par l’ANAFIC, à ce sujet je peux vous dire que nous sommes satisfaits de la réaction des élus locaux qui ont salué la décision de la reprise du FODEL par l’ANAFIC. Deuxièmement, nous avons constaté que les élus commencent à intégrer les aspects de gouvernance, c’est à dire qu’ils n’ont pas peur d’exprimer leurs opinions, ils parlent clairement des contraintes liées à leur gestion du FODEL, et ils sont à l’aise puisqu’ils comprennent, ils participent au processus et donc, ils sont au cœur du dispositif, c’est un aspect positif parce que si vous êtes à mesure d’expliquer la leçon, vous connaissez comment le processus est passé c’est déjà un acquis pour le FODEL. Pour moi, c’est quelque chose de positif ; s’ils n’avaient aucune idée comment les choses se géraient, ils ne comprenaient pas le mécanisme, ils n’allaient pas retrouver les failles. Ensuite, ce qui est plus important, ces élus locaux font attention au processus global de gestion de fonds, ils prennent notes, ils s’intègrent et ils participent ; ça c’est aussi un aspect de gouvernance. S’agissant du processus lui-même, c’est un acquis également parce qu’il y a un manuel de procédure de gestion du FODEL qui existe et il y a toutes les structures et toutes les dispositions qui sont prises pour la gestion du FODEL. Il y a le Comité Conjoint, le secrétariat permanent qui sont en place.
Maintenant dans le fonctionnement effectif des différents organes, il y a quelques insuffisances qui ont été notées à tous les niveaux. Des insuffisances qui devraient être réglées au fur du temps. Mais du fait qu’il y a eu très peu de missions, il y a eu beaucoup plus de problèmes non gérés et les choses se sont accumulées. C’est pour cette raison que nous avons trouvé ces difficultés majeures rencontrées par les autorités locales et les populations de la préfecture de Dinguiraye, qui ont pris le temps de nous expliquer ces problèmes. Mais étant donné que nous n’étions pas partis pour résoudre ces problèmes, nous avons pris notes et avons agi au niveau des différents acteurs (élus locaux, le CAGF, le secrétariat permanent) afin qu’il ait l’accalmie pendant cette période avant les nouvelles dispositions pour que tout soit clair.
Quelles ont été ces difficultés exprimées par ces élus ?
D’abord, au niveau des élus locaux, ils affirment qu’ils ont une connaissance des montants issus des CDL (contribution de développement local) reversés par les sociétés minières ; ils ont également une connaissance des montants versés aux comptes de leurs collectivités. Mais, selon eux, ils n’ont aucune connaissance du montant de l’intercommunalité, c’est-à-dire des activités collégiales des communes. A ce niveau, il semble que la gestion des activités liées à l’intercommunalité souffre de transparence, et que même si les montants sont annoncés, le processus de décaissement, la mise à disposition et le compte rendu après utilisation pose problème. Par exemple, certains élus disent avoir reçu du matériel, notamment des motos tricycles sans pièces de rechange venant du niveau central, alors qu’ils n’avaient pas exprimé le besoin ni leurs populations. Ensuite, l’aménagement d’une plaine à Bambadala où un milliard sept cent millions de francs guinéens ont été dépensés et n’ont même pas récolté un pot de riz. Donc, tous les élus locaux semblaient être très mécontents de cette situation. A cela s’ajoute la saisie de leurs tracteurs par les nouvelles autorités. Au niveau du CAGF, les cadres du secrétariat permanent affirment avoir un problème relationnel avec le président. Selon eux, il y’a des décaissements qui sont effectués et ils ne sont pas associés, le président ne réside presque pas à Dinguiraye, il passe plus de temps à Conakry ; et enfin le secrétariat permanent qui pense qu’il est recruté suivant un mécanisme très transparent et compétitif, mais que les activités qui sont menées ils sont mis de côté et que le président s’est adjoint d’autres personnes qui font le travail à leur place notamment les comptables et l’ingénieur comptable.
De l’autre côté, les groupements d’intérêts économiques ‘’GIE’’, se sont plaints à cause de la non transparence dans la sélection des GIE bénéficiaires des financements avec des faibles montants qui ne leur permettaient pas de faire des activités consistantes, mais également le retard dans le décaissement de ces montants ; car, ils ont reçu au moment où la campagne était déjà passée, donc les activités ciblées n’étaient plus d’actualité ; un financement qui n’a pas répondu aux attentes.
Et les acteurs de la société civile ?
Quant aux acteurs de la société civile, ils pensent qu’il ya beaucoup de manquement par rapport aux élus. Ils disent n’avoir pas été associés au processus de fonctionnement en général.
Selon vous d’où sont venus tous ces problèmes évoqués de part et d’autre ?
A mon avis si vous avez une organisation de cette nature, les rencontres régulières permettent de résoudre les difficultés dans la gestion. C’est important que les gens se retrouvent et qu’ils discutent régulièrement du mécanisme de fonctionnement pour aplanir les difficultés qu’ils rencontrent. Selon tous les acteurs que nous avons rencontrés, le Comité Conjoint qui se trouve à Conakry a beaucoup influencé le mécanisme de gestion du CAGF/FODEL de Dinguiraye.
Est-ce que vous avez pu effectuer des visites dans certaines sous-préfectures pour connaître les réalités ?
Oui, effectivement, nous avons pu effectuer quelques visites de terrains pour constater quelques réalisations ; nous nous sommes rendus à Banora, la localité qui abrite la mine, et dans quelques localités de la commune urbaine, mais mon constat est que les activités réalisées sont en deçà des montants décaissés.
Quelles sont les nouvelles dispositions prises pour inverser cette tendance avec l’ANAFIC qui va désormais assurer la gestion future ?
Il y’a eu beaucoup de problèmes présentés, mais qui ne sont pas à mon avis des problèmes insurmontables, il suffit juste de remettre en marche le fonctionnement correct des différentes instances, accompagner par des appuis techniques mais aussi mettre des cadres permanents de dialogue et de concertation pour assurer une gestion transparente et responsable. Et nous sommes en réflexion ici à l’ANAFIC pour identifier les mécanismes les plus appropriés pour la gestion du fonds au niveau des collectivités ; nous sommes représentés dans toutes les régions du pays où nous disposons des antennes. Donc, ça va être un peu plus facile, parce que nous avons l’expérience en tant que PACV, maintenant en tant qu’ANAFIC, des expériences sur lesquelles nous allons capitaliser pour gérer les fonds.
Vous l’avez dit que l’ANAFIC est sur les réformes en vue de relancer le processus de financement des collectivités. Mais vous n’êtes pas sans savoir que depuis le coup d’Etat du 5 septembre 2021, le processus est arrêté, est ce que vous n’êtes pas en retard dans le cadre de la relance des activités à ce niveau après plus de 8 mois ?
Il vaut mieux retarder le développement et bien le faire que de le faire dans un contexte où il y’a des problèmes. Donc, je pense que lorsque les activités vont reprendre, il y aura un mécanisme clair dans la gestion des ressources.
Nous sommes au terme de cette interview exclusive que vous avez bien voulu nous accorder, votre mot de la fin ?
Je termine en faisant ces quelques recommandations aux populations guinéennes en général et celles des préfectures minières en particulier. Je peux dire que la gouvernance s’enracine à la base. Si les communautés comprennent, adhèrent à la gouvernance, le niveau le plus élevé est obligé de s’aligner et j’ai bien apprécié l’esprit d’ouverture des élus locaux de la préfecture de Dinguiraye, ainsi que les membres du CAGF, du Secrétariat Permanent, je les encourage à rester diplomates et éviter des conflits locaux, parce qu’on ne se développe pas dans les conflits. Donc, qu’ils continuent d’avoir des cadres de concertations permanents où les gens ont la possibilité d’exprimer leurs idées dans l’accalmie.
Propos recueillis par Oumar M’Böh pour www.lavoixdupeuple.info
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