POUR UNE MEILLEURE CAMPAGNE DE VULGARISATION DU PROJET DE CONSTITUTION, ET SI LE GOUVERNEMENT GUINÉEN CRÉAIT LA CONNEXION AVEC L’EXPÉRIENCE ET LES ACQUIS DU CNT ?
À un tournant décisif de l’histoire politique de notre pays, une nouvelle campagne de vulgarisation du projet de Constitution s’annonce, cette fois conduite par le gouvernement. Mais face à cet exercice ô combien stratégique, une question cruciale mérite d’être posée, sans détour ni diplomatie : pourquoi ne pas s’appuyer sur l’expérience concrète, éprouvée, et hautement méthodologique du Conseil National de la Transition (CNT) ? Pourquoi réinventer la roue quand des outils efficaces ont déjà été conçus, testés et largement salués pour leur efficacité ?
Le CNT, rappelons-le, n’a pas seulement élaboré un avant-projet de Constitution. Il a su accompagner ce processus d’un travail de terrain impressionnant, mené avec rigueur, pédagogie et méthode. À travers une campagne nationale de vulgarisation d’une rare intensité, il a permis au peuple de comprendre les fondements du texte, d’en débattre, de s’y reconnaître. Ce n’était pas une communication descendante, bureaucratique, ou politicienne. C’était une vulgarisation participative, ancrée dans la réalité des citoyens, avec des outils pratiques accessibles et des supports adaptés aux réalités locales.
Aujourd’hui, le gouvernement reprend la main. Il en a la responsabilité. Mais cette mission ne saurait être menée efficacement si elle fait abstraction des acquis du CNT. Ce serait une erreur stratégique, un gâchis méthodologique, et, plus grave encore, un acte de rupture avec une dynamique inclusive qui avait commencé à réconcilier le citoyen avec l’institution.
Vulgariser un texte constitutionnel, ce n’est pas diffuser des slogans. Ce n’est pas agiter des bannières ni multiplier des conférences fermées. Vulgariser, c’est expliquer, illustrer, contextualiser. C’est parler la langue du peuple, utiliser ses repères, ses images, ses symboles. C’est rendre concret ce qui semble abstrait. Et dans ce domaine, le CNT a fait ses preuves. Ses modules thématiques, ses fiches explicatives, ses outils visuels et son maillage territorial ont constitué un socle solide de pédagogie démocratique.
À l’inverse, une campagne de vulgarisation menée sans cette base méthodologique risque de sombrer dans l’improvisation. Le danger ? Une communication floue, une faible appropriation populaire du texte, une désaffection des citoyens, et in fine, un rejet silencieux. Il ne suffit pas d’organiser des réunions ; il faut qu’elles soient porteuses de sens. Il ne suffit pas de traduire le texte en plusieurs langues ; il faut aussi le rendre intelligible dans la vie quotidienne des citoyens.
Le peuple n’adhère pas à ce qu’il ne comprend pas. Et il ne comprend que ce qui lui parle.
Alors, pourquoi hésiter à créer une passerelle entre l’action actuelle du gouvernement et le travail déjà réalisé par le CNT ? Pourquoi refuser une continuité méthodologique qui serait non seulement logique, mais bénéfique à tous les niveaux ? L’égo institutionnel, les considérations politiques ou les rivalités de personnes ne peuvent pas, ne doivent pas, freiner la réussite d’une campagne de si grande importance.
Car il s’agit ici d’un texte fondateur, d’un socle pour l’avenir. Plus le peuple le comprendra, plus il s’y reconnaîtra. Et plus il s’y reconnaîtra, plus l’exercice de la citoyenneté s’en trouvera renforcé. Ce lien direct entre compréhension et adhésion est une évidence démocratique que personne ne peut ignorer.
Nous en appelons donc à la lucidité politique. Nous en appelons au bon sens stratégique. Il est encore temps pour le gouvernement de tendre la main, de convoquer les compétences, de réactiver les outils, et surtout de reconnaître la valeur d’un travail déjà accompli au nom du peuple. Refuser de le faire serait un aveu de mépris ou de repli, et nous ne pouvons nous le permettre.
La Constitution ne peut pas être un document réservé aux élites. Elle doit être l’affaire de tous, partagée, débattue, comprise. Et pour cela, il faut des outils. Le CNT les a produits. Le gouvernement doit maintenant s’en emparer, non pas pour les instrumentaliser, mais pour les prolonger.
Oui, il est temps de créer cette connexion. Non pas par convenance, mais par nécessité. Pour que cette campagne de vulgarisation ne soit pas une formalité administrative, mais un vrai moment de démocratie vivante.
Aimé Stéphane MANSARÉ
SOCIOLOGUE
Expert-consultant en Sciences sociales du développement
DG du CERFOP.