Mesdames, Messieurs,
Si vous songez à inverser la vapeur dans une République bananière, rien de plus normal surtout si vous choisissez le moment le plus opportun où les citoyens de l’un des pays les plus désordonnés au monde implorent la grâce divine pour que cela survienne. Et même si la recette de mise en œuvre d’un tel projet s’avère délicate, il arrive parfois pourtant que les choses semblent plus faciles que l’on n’y croit. Quatre mois après la révolution de palais intervenue en Guinée, nous sommes en mesure à présent d’échafauder une recette convenable de la bouillabaisse épicée autour de laquelle les Guinéens sont invités à savourer avec appétit déjeuners et dîners après dix ans de disette aigüe.
Premièrement : Vous nourrissez l’ambition de vous initier à cette chose-là, enfilez avant tout l’uniforme d’un aventurier, faites ensuite le tour de quelques pays africains et européens le temps de mieux vous adapter au froid puis à la chaleur et alternativement, cela participe de l’endurcissement de votre cuirasse. Exercez régulièrement votre corps au sport et au port de lourdes charges. Il n’est point besoin de faire des galons une préoccupation personnelle, cela interviendra plus tard. Mais si dans la vie il est important de patienter, vous devez quand même vous exercer à un peu plus d’opportunisme, dès que cela s’avère nécessaire. Un tel talent permettra sans doute de vous adapter à l’environnement immédiat tel un caméléon qui change de couleur et un para-commando dans une posture de déguisement en pleine jungle.
Deuxièmement : revenez chez vous dès qu’on aura fait tout : creusez, fouillez, bêchez…Ne laissez nulle place au doute sur votre personne, vos attitudes et votre comportement et pour cela, il vous faudra obéir même aux ordres les plus incongrus car c’est la meilleure façon de s’adapter à l’autorité dans une République bananière où on tire sur les citoyens à bout portant, même s’ils ne sont coupables d’aucun délit. Tapez très fort sur toute personne qui remue le petit doigt jusqu’à transformer tous les coqs de la basse-cour en énuque. C’est ainsi que le viol de bonnes femmes dans les quartiers de Conakry se justifiera par le défaut de taureaux géniteurs. Dans ce contexte de tohu-bohu, utiliser des femmes enceintes comme paravent n’est point un délit et ne sera jamais perçu comme un acte qui enfreint les valeurs morales communes. Comme vous le voyez, jusqu’ici tout va bien, vous avez aidé votre mentor à commettre des actes inouïs. En bon fils adoptif, vous avez participé à construire la figure du monstre. A partir de là, il devient plus légitime de lui administrer le coup fatal, car tout le monde vous apportera son soutien sans même chercher à comprendre ce qui se joue à l’arrière-plan de la cuisine politique familiale.
Troisièmement : le terrain en friche est dès à présent fin prêt à être ensemencé, il vous suffit tout simplement de passer maintenant à l’action en récoltant ce que vous avez semé. Dans ce cas, la figure du caméléon cagoulé, déguisé en para-commando au front passe en première ligne. Quelques heures seulement suffisent largement pour capturer votre proie en laissant derrière quelques pauvres gardes sans vie. Mais tout cela n’est rien dans un pays où la violence de l’Etat contre les citoyens est monnaie courante à tel point que cela n’émeut guère que quelques voisins du quartier. Aguerri, vous aurez montré à la face des citoyens de votre pays, pas qu’une simple bravoure, mais en sus vous aurez fait preuve d’un talent de sagesse hors pair. Car vous avez assimilé en peu de temps la leçon du caméléon, grand professeur de l’école de la vie de tous les jours. Il ne vous reste plus qu’à mettre en scène votre proie : le résultat est tonitruant. Tel un coup de baguette magique, vous disposez désormais de la propriété de mettre les foules en liesse.
Quatrièmement : Il suffit d’agiter votre pauvre prise dans les rues, les citoyens qui jubilent, n’hésiteront pas un seul instant de se percher au sommet des montagnes d’ordures pour vous applaudir car vous les aurez libérés de la tyrannie. Après avoir agité ce mort-vivant à l’image du sort réservé à nombre de dictateurs déchus dans le monde, il ne vous restera plus qu’à balayer d’un revers de la main tout ce qui s’est passé d’ignoble les années précédentes, en libérant quelques pauvres prisonniers, en faisant un peu de trafic d’influence auprès d’anciens dignitaires du pouvoir qui vient d’être évincé. N’hésitez surtout pas de rendre visite aux dames âgées, aux notables et aux morts dans les cimetières. Récitez pendant ce temps quelques versets du Coran. Sans doute, le résultat sera fantastique car même les squelettes d’outre-tombe vont arborer un sourire de satisfaction pour saluer votre passage furtif.
Cinquièmement : invitez acteurs sociaux et politiciens au Palais du peuple, là où vous avez fait un peu peur aux anciens ministres à l’aide d’un petit ingrédient de trafic d’influence. N’oubliez surtout pas que la Guinée est le pays du désordre. Pimentez un peu la cérémonie, ce sera la merveille car grâce à l’action du Saint Sauveur les Guinéens auront atteint la félicité, du moins d’ici le réveil de l’esprit collectif en berne. Quelques jours après, appliquez la loi de « la charité bien ordonnée commence par soi ». Portez enfin tous vos galons puis autoproclamez-vous Responsable Suprême du Changement, Seigneur des morts et des vivants, Fidèle serviteur du peuple, ainsi de suite…car vous méritez d’ailleurs plus, surtout après avoir réalisé une action aussi mémorable que le lynchage d’un Professeur d’Université imbu de science. Pendant que tout le peuple s’agite dans un tintamarre assourdissant, profitez-en pour placer auprès de vous quelques vieux crocodiles, mêmes s’ils sont édentés, entre temps, cela ne fait rien, car tapis dans l’ombre ils pourront guider vos pas d’ici la consolidation de vos appuis. Ainsi, pourront-ils assurer admirablement votre arrière-garde surtout que vous leur donnerez momentanément de l’herbe fraîche à brouter. Recette ou potion magique, peu importe le nom qu’on attribue à de telles pratiques.
Sixièmement : dans le sillage de toutes les actions précédentes, commencez à trier les CV de ceux qui vont vous accompagner tout au long de la transition. Comme vous le savez, il faut souffler aux oreilles de tous les diaspos qu’ils sont les bienvenus. « A beau mentir qui vient de loin », dit-on ! Ils ont étudié et vécu aux pays des Blancs, ils savent mieux que ceux de couleur locale, ce qu’il faut faire pour la Guinée dans le présent. Surtout qu’ils disposent de tous les talents de beaux discoureurs pouvant persuader même les plus sceptiques des citoyens ; cela permettra certainement de mieux vendre votre image et vos projets auprès des Guinéens avec quelques chats sauvages tapis dans de mallettes réservées qu’aux seuls citoyens pouvant passer pour de diplomates aguerris. C’est la meilleure façon de se faire une promotion sans faille. Après avoir trié dans le lot des diaspos soupoudrés de quelques locaux, histoire de mieux assaisonner la bouillabaisse d’épices et colorier le groupe ainsi constitué du drapeau Rouge-Jaune-Vert (Para-commandos-Locaux-Diaspos), vous pouvez enfin habiller le gouvernement d’uniformes militaires afin de mieux les intégrer dans les rangs de la secte et de les initier entre temps à la sagesse dans l’art de la métamorphose du caméléon. Ainsi, n’auront-ils bouches cousues et mains liées que pour avoir prêté le serment de fidélité. C’est de cette façon qu’on consolide ses arrières en aiguisant la loyauté absolue de la part de ses collabos, ce qui fait l’économie d’une mise en garde cérémonieuse.
Septièmement : De temps à autre créez un événement même de moindre importance cela vous permettra d’occuper constamment l’espace public. C’est la mise en œuvre de cette recette de cuisine politique qui a la propriété d’accommoder les agendas politique, médiatique et ceux des préoccupations citoyennes. Par exemple, même après avoir affirmé publiquement que votre mentor répondra de ses actes devant la justice, vous pouvez le libérer de la contrainte d’être séparé de ses douces moitiés. De telles décisions sont susceptibles de réveiller des cuisines familiales entre deux femmes même si elles ont déjà jeté les feuillages encombrants des mondanités de la vie d’ici-bas pour recentrer l’esprit sur des choses essentielles.
En plus de cela, vous pouvez permettre à vos aînés et prédécesseurs en exil de rejoindre leur Faso, même si, contrairement à vous, ils n’ont réussi un coup d’Etat que contre un fauteuil vide. Toutefois, vous prendrez la précaution nécessaire de souffler aux oreilles des citoyens que la justice fera bien sûr son travail, mais rien ne vous impose de tenir parole. Ainsi va la vie ! Enfin de compte, vous aurez ouvert plusieurs chantiers, mais ils sont si nombreux que vos compatriotes, émerveillés qu’ils sont, courent le risque de se perdre dans les méandres des labyrinthes au cours d’une visite aventureuse.
A cette kyrielle de dispositions qui chevauchent bourreaux et victimes sous le même toit d’une maison guinéenne délabrée, il convient de rajouter encore quelques ingrédients à base d’épices. Dans ce cas, en plus des premières décisions qui vous ont permis de jeter par la fenêtre plusieurs centaines de douaniers, d’officiers dont certains à peine sortis de leur caserne ont enfilé d’autres uniformes tandis que d’autres ont été laissés à l’abandon même si quelques décisions incongrues accordent à ceux-là et à leur famille le statut de diplomates assermentés, il convient de continuer à sévir. Cette fois, visez tout droit plus haut et plus juste le mammouth de la fonction publique : un autre site archéologique à explorer avec frénésie. En donnant un coup de grâce à plus de six mille fonctionnaires, même si plusieurs d’entre eux ne sont rien d’autre que des fictifs, des morts voire des fantômes qu’on continue de payer, une telle hémorragie ne peut soulever qu’une seule question : comment faudra-t-il procéder pour remplacer au moins quelques-uns pour assurer tout au moins la continuité des services administratifs ? Une seule réponse : cela permet d’assurer quelques économies et la suite on verra !
Dans tous les cas, le CNRD sortira toujours gagnant du dégraissage de la fonction publique. En effet, tous ceux qui seront recrutés dans la foulée resteront très reconnaissants au pouvoir qui les a sortis du chômage. Comble de bonheur pour nous Guinéens entraînés dans une aventure aussi bien fantastique que fantasmagorique ! Un coup de pied dans le derrière de plusieurs fonctionnaires, sans prendre le temps de les prévenir, voilà une décision géniale qui attribue beaucoup d’humanité au pouvoir naissant. En attendant tant pis pour la démocratie et les droits des Guinéens peu habitués heureusement à jouir de ces valeurs ! Bye, bye !
Alpha Ousmane BARRY, professeur des Universités