Guinéennes, Guinéens,
La fin de l’année 2023 a été marquée par l’incendie inattendu, horrible et dramatique qui a ravagé le dépôt central des hydrocarbures de la Société Guinéenne de Pétrole (SGP) dans la nuit du samedi 17 au dimanche 18 décembre dernier à Conakry. Le bilan humain et matériel, établi à ce jour, est lourd, regrettable et plonge notre nation dans un profond deuil en même temps qu’il annonce des lendemains difficiles à un moment où tout le monde est gagné par le doute et le découragement.
Je renouvelle ma solidarité avec toutes les victimes, décédées ou blessées, et ma compassion aux familles éplorées. Je rends hommage aux forces de défense et de sécurité, notamment aux agents de la protection civile, dont l’action courageuse et déterminée a permis de limiter les dégâts. Je félicite le corps médical pour son remarquable dévouement dans la prise en charge et le traitement des blessés. Je salue le bel élan de solidarité du peuple de Guinée à l’endroit des populations éprouvées par cette tragédie.
Nous devons continuer à rester unis et solidaires malgré les difficultés qui nous étranglent, les défis qui nous assaillent, pour atténuer, ensemble, les conséquences à court et à moyen terme de cette catastrophe sur les conditions de vie des populations déjà durement éprouvées par la cherté de la vie.
Mes chers compatriotes,
Je voudrais profiter de cette occasion pour honorer la mémoire des Guinéennes et Guinéens qui ont été arrachés à l’affection de leurs proches sous l’effet de la brutalité et de l’arrogance de ceux qui nous gouvernent. Je pense en particulier aux 37 jeunes récemment abattus le long de l’axe Hamdallaye-Kagbelen alors qu’ils protestaient contre les coupures intempestives d’électricité ou contre la violation par la junte de la Charte de la Transition.
Ces jeunes, dont la plupart avaient moins de 20 ans, et leurs parents, n’ont pas eu droit, comme beaucoup avant eux, pour des raisons incompréhensibles, ni à la compassion de la République, ni à la moindre justice. Or, tout le monde sait que l’impunité encourage la récidive. Et comme le disait Léonard de Vinci, « Qui néglige de punir le mal le cautionne ».
Mes chers compatriotes,
L’année 2023 a été aussi marquée par un départ massif de notre jeunesse pour l’étranger, notamment à destination de l’Europe via le Maghreb et la Méditerranée, et de l’Amérique du Nord via le Nicaragua et le Mexique. Écrasés par le chômage, la précarité des conditions de vie et les restrictions des libertés, ces jeunes n’ont pas hésité à traduire en musique l’envie pressante de partir.
« Quittons le pays ! », ce slogan chanté en chœur par les jeunes guinéens, est l’écho de cette volonté de fuir l’inhospitalité politique, le chômage endémique et la pauvreté, fléaux aggravés par l’incapacité des pouvoirs publics à prendre en charge les questions vitales de l’éducation, du développement rural et de l’industrialisation de notre pays.
En effet, pour une grande partie de la jeunesse guinéenne, la Guinée se définit comme une absence d’opportunités, une société de galère, où la vie ne peut avoir de sens qu’au prix d’insertions dans les réseaux de privilège, de corruption, de trafic d’influence et de banditisme.
Je demeure convaincu qu’une telle Guinée où prospèrent la délinquance et l’injustice n’est pas celle que nous voulons léguer à nos enfants. La Guinée que nous voulons pour 2024 et les années à venir est celle qui offre à sa jeunesse une solide formation, des emplois décents et de bonnes perspectives d’épanouissement. Une Guinée réconciliée avec sa jeunesse, fière de son histoire, confiante en son avenir et à même de garantir l’égalité des droits et des chances entre tous les fils du pays. Une Guinée capable de fédérer les énergies, les compétences, les connaissances pour constituer une puissance publique viable et représentative de tous. Cette Guinée ne pourra être l’œuvre d’un seul homme ou d’un groupe particulier et ne pourra se construire dans la haine, l’exclusion et la violence.
C’est par le sens retrouvé du dialogue, du compromis et de l’intelligence de nos intérêts communs que nous pouvons faire de notre pays un lieu d’espérance où la vie vaut la peine d’être vécue pour tous. Le dialogue avec les forces représentatives de notre société est consubstantiel au succès de la transition et de ce fait, exige des détenteurs du pouvoir actuel, courage et dépassement de soi pour le salut de la nation.
Mes chers compatriotes,
Comme vous, n’étant pas dans le secret des dieux, je ne peux augurer de l’avenir. Mamadi Doumbouya partira-t-il de lui-même au terme de la transition telle que convenue avec la CEDEAO ou voudra-t-il conserver le pouvoir ? Organisera-t-il des élections régulières ou voudra-t-il imposer un homme de son choix ? Je n’ai pas, comme beaucoup d’entre vous, de réponses à ces questions. Par contre, nous savons tous que la gestion actuelle de notre pays n’a rien à voir ni avec le discours décliné le 5 Septembre par le Colonel ni avec la Charte de la transition qui devait servir de référence aux autorités pendant la durée de cette période d’exception.
Et pourtant, comme le précise le préambule de la Charte de la transition, le CNRD avait réaffirmé son attachement aux valeurs et principes démocratiques tels qu’inscrits dans la Charte des Nations-Unies, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance de l’Union africaine, ainsi que dans le Protocole additionnel de la CEDEAO sur la démocratie, la bonne gouvernance et les élections.
Et l’article 8 de la Charte de la transition précise : « Les libertés et droits fondamentaux sont reconnus et leur exercice est garanti aux citoyens dans les conditions et les formes prévues par la loi. Aucune situation d’exception ou d’urgence ne doit justifier les violations des droits humains ».
Mais avant, le Colonel s’était solennellement engagé à mettre fin, entre autres, à l’instrumentalisation de la justice, au piétinement des droits des citoyens et à la corruption endémique. Il s’était aussi résolument engagé à faire de la justice la boussole de l’action publique.
Aujourd’hui, ouvrez vos yeux, regardez par vous-mêmes, mes chers compatriotes !
Les professions de foi du Colonel et les dispositions de la Charte de la transition qu’il a pourtant juré de respecter et de faire respecter n’ont rien à voir avec les réalités que nous vivons.
Les règles et principes de l’État de droit sont piétinés sans ménagement. Toutes les voix discordantes sont muselées, harcelées et menacées. Les leaders des partis politiques et des Organisations de la société civile, non acquis à la cause du CNRD, revendiquant un retour diligent à l’ordre constitutionnel, sont spoliés, combattus, poursuivis par la justice, jetés en prison ou poussés à l’exil.
Les droits de l’homme ainsi que les libertés publiques et individuelles ne sont nullement respectés. Les Guinéens n’ont plus le droit de manifester publiquement leur opinion, sauf ceux qui sont acquis à la cause de la junte. En raison de la cruauté des agents chargés du maintien d’ordre favorisée par l’impunité que leur garantissent les autorités, des jeunes, élèves pour la plupart, continuent toujours de mourir « pour rien » à chaque annonce d’une manifestation de rue.
Les multiples atteintes portées à la liberté de la presse notamment le démantèlement par effraction des émetteurs du Groupe de presse AfricVision, le brouillage des ondes des radios FIM FM, Djoma FM, ESPACE FM ainsi que leur retrait du bouquet Canal+, le sabotage de la presse en ligne, d’internet et des réseaux sociaux, illustrent éloquemment la volonté des autorités de museler la presse et de faire taire toutes les voix dissonantes en violation flagrante des dispositions de la Charte de la transition.
Quant à la boussole, elle semble avoir été brisée puisque le navire justice, en perdition, se trouve aujourd’hui à mille lieux de nos côtes. La CRIEF s’est avérée être un instrument de règlement de comptes au service du CNRD, son véritable but étant de harceler tous ceux qui pourraient entraver le projet de la junte de rester au pouvoir aussi longtemps que possible. Des détournements manifestes de deniers publics sont en cours, des acquisitions immobilières sont visibles, les signes extérieurs d’enrichissement sans cause sautent aux yeux.
Les autorités de la transition se sont littéralement assises sur notre Code des marchés publics et font du gré à gré la règle et l’appel à la concurrence l’exception si bien que les contrats publics sont exclusivement réservés à leurs amis avec les surfacturations et rétro commissions inhérentes à cette pratique.
Mes chers compatriotes,
À 12 mois de la fin prévue de la transition, selon l’Accord dynamique signé entre la Guinée et la CEDEAO, aucune étape du chronogramme imposé par la junte n’a encore été réalisée. Alors que nous avons besoin de sortir de ce régime d’exception pour affronter ensemble les nombreux défis auxquels notre pays est confronté, la transition a pris la forme d’un régime normal et légitime, et le retour à l’ordre constitutionnel ne semble plus être la priorité de la junte. En effet, celle-ci, sous le double prétexte de refonder l’État et de combler le déficit d’infrastructures du pays, se lance plutôt dans d’autres activités pour justifier et légitimer le prolongement de la transition.
L’histoire de la Guinée n’a pas commencé le 5 septembre 2021. Il nous faut donc rompre avec le fétichisme du renouveau et les mysticismes de la refondation de l’État ainsi que l’idéologie d’un panafricanisme opportuniste et douteux.
Qu’on ne se laisse pas distraire par de faux débats. Une démocratie à l’africaine n’est pas celle qui exproprie et spolie, arbitrairement, réprime et confisque le pouvoir, au seul profit de ceux qui l’exercent. La spécificité africaine de la démocratie ne peut justifier la violation des droits humains et des libertés fondamentales.
En réalité, ce n’est pas la démocratie ou le modèle démocratique qui est le problème en Afrique mais plutôt la non application ou la mauvaise application des règles et principes de la démocratie.
Mes chers compatriotes,
L’année 2024 sera un rendez-vous décisif pour l’avenir de notre pays. Et il dépendra en grande partie de la responsabilité de la junte au pouvoir de nous engager sur la voie salutaire d’une sortie pacifique de la transition par l’organisation d’élections libres, inclusives et transparentes, ou de nous engager sur les sentiers périlleux du conflit et de la violence en mobilisant son appareil répressif pour tenter de se maintenir au pouvoir. Si nous échouons encore une fois à organiser une élection présidentielle sans fraude, une élection où seule la vérité des urnes compte, nous aurions exposé notre pays à une instabilité que personne ne souhaite.
C’est le moment ou jamais d’en appeler à la responsabilité de chacun et de tous :
mes chers compatriotes,
je vous appelle à la conscience citoyenne, je vous appelle au sursaut patriotique ! Il va de soi qu’instaurer une démocratie véritable soutenue par un État de droit est le meilleur moyen de garantir et l’unité nationale et la cohésion sociale et le développement économique. Nous espérons tous qu’au lendemain de ce scrutin crucial que nous attendons avec impatience, les Guinéens auront choisi leur président dans la sérénité et dans le calme, sans un bris de glace, sans une goutte de sang.
Mes chers compatriotes,
La transition doit veiller au respect de sa vocation qui est de préparer le retour diligent et paisible à l’ordre constitutionnel. C’est-à-dire créer, de concert avec la classe politique, un cadre électoral permettant au peuple de choisir librement ses dirigeants et aux élus d’engager les réformes nécessaires à l’ancrage de la démocratie et de l’État de droit et à la promotion du développement économique et social du pays.
A toutes et à tous, bonne année 2024.
Que l’année nouvelle soit pour tous une année de quiétude et de réconfort. Qu’elle apporte à nos foyers éprouvés par le chômage endémique, la pénurie de carburant, la hausse vertigineuse du prix des loyers, du transport, des denrées de première nécessité, la force de tenir et l’espoir d’un lendemain meilleur. Qu’elle soit pour notre nation, l’occasion rêvée de raffermir la concorde nationale et d’ouvrir enfin les portes d’une ère démocratique irréversible fondée sur des élections inclusives, libres et transparentes et sur le respect des droits de l’homme dont le premier et le plus sacré de tous est le droit à la vie.
Vive la République !
Que Dieu bénisse la Guinée !
Cellou Dalein DIALLO