ACHMET SAID MOHAMED, Enseignant Chercheur spécialisé en chimie thérapeutique et également activiste dans le Mouvement politique Anti-système à l’Union des Comores a au cours d’un entretien exclusif qu’il a accordé notre rédaction depuis Moroni, la capitale de l’Union de Comores, décrit le système de gouvernance dans son pays et a évoqué les défaillances au sein de l’Union Africaine : « Pour moi, je considère que ce pays est devenu une véritable prison à ciel ouvert. Nous avons tous les ingrédients pour caractériser le régime de ce pays d’une belle dictature ; une justice qui est sous le contrôle d’un homme, une Assemblée nationale monocolore, une armée à sa disposition et des institutions qu’il peut modeler à tout moment comme à son bon vouloir. Il est la seule habilité à nommer les membres des différentes instances juridiques (la Justice et la Cour Suprême). Tous ceux-ci sont des gens qui sont issus de sa bonne volonté. Je parle bien sûr de l’actuel Président de Comores qui est en même temps le Président en exercice de l’Union africaine. Nous on a fait un constat. Ce constat est que depuis 1975, les Comores sont indépendantes. Ça veut dire que si les présidents arrivent et perpétuent exactement le même système et donc du coup le pays n’arrive toujours pas à décoller là où il est c’est qu’il y a un problème. Et ce problème c’est exactement ce système. Donc, notre objectif est de faire tomber ce système et de remettre de la technique dans la gestion de ce pays. Ce pays est devenu trop politisé. On n’a pas un domaine où on demande de la technique. Par exemple, vous avez aujourd’hui un problème de délestage à répétition mais la société d’électricité est une société nationale qui a un monopole. Tout le monde vient d’une nomination. Les gens qui prennent des décisions dans ces sociétés viennent d’une nomination. Il n’y a pas une personne qui est nommée en tenant compte de ses compétences dans un domaine ; mais c’est dans la complaisance politique. Nous on se bat contre ça. Nous avons des juges, des procureurs et autres qui sont nommés à bon vouloir d’un homme. On veut une société qui soit complètement indépendante avec des juges et des procureurs qui sont issus d’une élection. A l’intérieur de leur corps, leur permettant de pouvoir jouir de leur indépendance et de pouvoir être à la disposition de la population. Cela va éviter de se retrouver en prison parce que tel président ou tel ministre a décidé que je dois aller en prison. Nous sommes foncièrement démocrates. La seule façon de changer un pays c’est opté la voie démocratique. Les autres moyens nous ne croyons pas parce qu’ils ont déjà fait leurs preuves. Les coups d’État on en a vu des dizaines en Afrique. La jeunesse est en train d’applaudir aujourd’hui les coups d’État parce qu’ils se disent on n’a pas d’autres choix. Les gens ne partiront jamais que par les coups de force. Sauf que les conséquences on les connaît. Ces gens quand ils arrivent au pouvoir, ils ne repartent jamais. Ils mettent des transitions sans fin et tout ça pour se maintenir finalement au pouvoir et garder la place de celui qu’ils ont enlevé. Je regarde tous les pays africains dans leurs histoires. On a connu beaucoup de coups d’État en Afrique. C’est très peu de pays qui peuvent se réjouir de connaître les alternances démocratiques réelles. Pour moi, tout coup d’État qui soit institutionnel, militaire ou électoral est un coup d’État. Nous on a connu ici un coup d’État électoral en 2019. C’est pourquoi je dis que l’union africaine doit avoir la capacité de respecter les règles dont elle s’est fixée. L’union africaine est venue ici en 2019 et déclare que nous ne sommes pas en mesure de dire que l’élection a vraiment été libre et démocratique. Mais ça s’est arrêté là. Après cela, la même personne se retrouve aujourd’hui à la tête de l’Union africaine. Ça montre la légèreté de cette institution quant au respect de la démocratie » a-t-il déploré.
Pour mettre fin à ce système de gouvernance dans nos différents pays, l’activiste pense ceci : « Il faut que la jeunesse en particulier se rende compte que le temps passe de plus en plus vite. Le monde change et l’Afrique va rester en marge du développement du monde. La jeunesse doit prendre ses responsabilités. Cette responsabilité c’est se dire dès qu’il y a une échéance électorale nous devons y prendre part. Nous devons nous battre pour le respect de nos choix. Trouver les moyens par les mouvements anti systèmes pour faire tomber le système et renaître une vraie démocratie et d’ouvrir nos pays vers une liberté de circulation, une intégration des peuples Africains sur le continent » a-t-il souhaité.
Dans sa lutte pour changer le système en place, il est menacé en longueur de journée par les autorités. Il a également dénoncé le comportement du ministre de l’intérieur qui a la responsabilité de diriger la CENI pour les élections prévues en janvier 2024 : « Ici j’ai été convoqué à plusieurs reprises devant le procureur pour me signifier de fermer ma gueule, de ne pas perturbé les choses qui sont en train de se dérouler tranquillement. Ici vous pouvez vous faire arrêter à tout moment. Les partis ont une liberté géométrie variable. Il y en a qui sont libres et il y en a qui ont un contrôle judiciaire leur permettant de parler à 20% et d’autres à 30%. Il y a une élection en janvier 2024 et la campagne commence en décembre. Déjà, nous sommes en train d’assister à la mise en place de la CENI qui est monocolore gérée par le ministre de l’intérieur que nous verrons dans la rue en train de faire la campagne du président sortant. Celui qui est censé organiser les élections nous le verrons battre campagne. On les voit ici faire des meetings pour faire comprendre aux gens que c’est joué d’avance et c’est perdu d’avance. Dans le cadre d’une élection démocratique, il lui sera impossible d’avoir 10% de la population qui vont voter pour lui. C’est clair, net et précis. Vous partez dans un marché, vous demandez ce que les gens pensent de lui, sur cent personnes vous ne trouverez que seulement 10% qui diront du bien de lui. La difficulté par exemple du mouvement antisystème est que l’opposition et le régime, nous nous opposons contre eux. Ils se battent tous pour prendre la place de l’autre et continuer comme lui. Nous voulons faire tomber le système. Ça veut dire que nous sommes l’ennemi tant du côté régime que du côté de l’opposition. C’est ce qui fait que nous nous rencontrons dans le cadre de discussion pour nous assurer que nous puissions avoir des élections libres et démocratiques. Il y a des mouvements politiques avec lesquels nous n’avons aucun lien que ça soit dans notre perception de la notion de gouvernance. Il n’y a rien que nous partageons parce que là où nous, nous parlons de l’indépendance de la justice, eux tout le monde veut avoir une justice qui travaille pour lui. Là où nous disons que nous voulons mettre en place un référendum révocatoire pour que la population puisse avoir à tout moment le pouvoir, je ne vois personne qui peut proposer une telle mesure. Là où nous disons qu’il faut que le pays soit dirigé de 73% des gens qui sont âgés de 35 ans, je ne vois personne qui pourra défendre une telle idée puisqu’il y a une notabilité qui est mise en place et qui ne veut pas quitter le pouvoir. J’appelle les jeunes de ne pas abandonner le combat, de se dire qu’il y a un moyen pour faire tomber toute dictature. La meilleure façon de faire tomber une dictature c’est une mobilisation générale. Ne faites pas tomber une dictature pour en remettre une autre parce que ça n’aura pas de sens. Ça voudrait dire que les gens qui perdent la vie, qui perdent l’usage de leurs membres ou qui sont blessés dans une telle bataille c’est fait pour ne rien. La population est un peu résignée parce qu’il y a un climat délétère pour la démocratie. Il y a ceux qui disent qu’il ne faut pas aller aux élections parce que c’est perdu d’avance et le régime qui montre sans gêne qu’ils vont frauder. Notre travail c’est de faire renaître l’espoir » a expliqué l’enseignant chercheur.
Propos recueillis par Oumar M’Böh à Moroni et décryptés par Tamba Bakary Sandouno