« Le caïlcédrat ne parle pas, mais il couvre le village entier. »
(Adage guinéen – Basse-Côte)
Il est des silences qui marquent davantage que mille discours, des événements discrets qui bouleversent les équilibres plus durablement que les grandes proclamations. L’accession de la Guinée, en cette année 2025, à la Présidence du Conseil des Ministres du CAMES, relève de cette catégorie d’instants décisifs, où l’histoire ne s’écrit pas seulement — elle s’élève.
Cinquante-sept années après la fondation du CAMES à Niamey, voici que la Guinée, nation pionnière de l’affirmation souveraine, se voit confier une responsabilité éminente, non point comme un honneur tardif, mais comme une reconnaissance méritée. À travers elle, c’est l’Afrique qui rappelle au monde que le savoir, loin d’être un luxe ou un ornement, est un levier de puissance, une clef d’indépendance, une matrice de dignité.
De l’indépendance politique à la souveraineté académique
« Quand on est monté sur le dos du buffle, il faut savoir où l’on va. »
(Adage guinéen – Fouta-Djallon)
La Guinée n’a jamais conçu son indépendance comme un simple rejet de l’extérieur. Dès 1958, son choix radical d’émancipation fut aussi une promesse faite à la postérité : celle de bâtir un État instruit, une jeunesse éveillée, une science tournée vers l’essentiel. Aujourd’hui, cette promesse trouve un prolongement dans l’espace intellectuel commun que représente le CAMES, creuset de dialogue, de rigueur et d’harmonisation.
En assumant la Présidence du Conseil des Ministres, la Guinée se place dans la continuité de ses engagements historiques : faire de l’université non une tour d’ivoire, mais une maison commune, enracinée, exigeante et audacieuse, capable de conjuguer excellence et pertinence.
L’heure des ruptures : bâtir une université à l’échelle des défis
À l’ère des mutations technologiques, des reconfigurations géopolitiques et des crises environnementales, l’université africaine ne peut plus se contenter d’être un réceptacle passif des paradigmes venus d’ailleurs. Elle doit devenir un acteur critique, un producteur de normes, un inventeur de modèles.
La Présidence guinéenne du CAMES offre cette opportunité unique : redonner souffle à une gouvernance académique qui valorise les intelligences locales, les langues africaines, les savoirs oraux, les innovations endogènes. Il ne s’agit pas de rejeter l’universel, mais d’y entrer avec la force de notre singularité.
La tâche qui s’ouvre devant nous est noble : faire en sorte que les disciplines enseignées soient au service des besoins vitaux du continent : climat, énergies renouvelables, souveraineté sanitaire, gouvernance, histoire et mémoire. Car il n’est pas de développement durable sans enracinement savant.
La souveraineté intellectuelle : horizon et exigence
« Celui qui n’a pas de mémoire marche toujours sur les cendres de son feu. »
(Adage guinéen – Haute-Guinée)
Il ne suffit plus d’adapter l’existant. Il nous faut refonder l’université africaine sur une pensée libre, ouverte, mais souveraine. Cela implique une réappropriation méthodique de notre rapport au savoir, à la recherche, à la transmission.
L’Afrique ne peut se contenter de traduire les idées des autres : elle doit produire les siennes, les formuler dans ses langues, les éprouver à l’épreuve de ses réalités. Cette ambition est politique autant que culturelle. Elle exige du courage, de la constance et une vision longue.
Une présidence guinéenne adossée à une réforme nationale exemplaire
« L’arbre ne tombe pas d’un seul coup ; c’est la pluie qui finit par le faire. »
(Adage guinéen – Guinée Forestière)
La Présidence guinéenne du CAMES ne surgit pas du néant. Elle s’inscrit dans un mouvement de transformation profonde de l’enseignement supérieur guinéen, porté avec méthode, audace et cohérence par le Président de la République, le Général Mamadi Doumbouya.
À ses côtés, le Ministre de l’Enseignement Supérieur, Alpha Bacar Barry, a su incarner avec hauteur et constance cette vision rénovée : recrutement massif de docteurs, réforme curriculaire ambitieuse, création d’une assurance étudiante, refondation numérique, promotion d’une recherche utile, ancrée, interdisciplinaire.
Ce socle réformateur donne aujourd’hui à la Guinée non seulement la légitimité, mais l’élan nécessaire pour assumer une présidence transformatrice, orientée vers l’action, portée par l’exemplarité.
Le caïlcédrat de l’Afrique savante
En devenant, pour la première fois depuis 1968, présidente du Conseil des Ministres du CAMES, la Guinée n’ajoute pas une ligne à son palmarès : elle ouvre un chapitre pour l’Afrique.
Elle endosse la fonction non pour s’y glorifier, mais pour y servir. Elle s’y avance non en posture de donneuse de leçons, mais en porte-voix d’un continent qui aspire à penser par lui-même, à instruire ses enfants avec fierté, à contribuer au monde avec lucidité.
Et c’est ici que prend tout son sens l’adage initial : « Le caïlcédrat ne parle pas, mais il couvre le village entier. »
Qu’à l’ombre de cette présidence, l’université africaine se relève, se rassemble, se renouvelle.
Telle la prière fervente d’un fils du continent, portée par le souffle de l’histoire et la foi en l’Afrique savante.
Par Christian Desco Condé
Enseignant-chercheur
Spécialiste de la communication