La démocratie, ce mot qui semblait hier encore indiscutable, traverse aujourd’hui une crise sans précédent. Ce n’est pas seulement une crise de confiance ou d’efficacité, mais une crise existentielle. Partout, les repères s’effritent, les valeurs se perdent, et l’image des responsables politiques est réduite à néant par le rejet et le mépris qu’elle inspire. Ce phénomène, déjà visible en France, s’observe aussi à l’échelle mondiale : la démocratie représentative se fragilise sous nos yeux, comme une peau de chagrin.
En France, un sondage publié par le magazine La Croix a jeté une lumière crue sur cette inquiétante dérive : de nombreux jeunes ne croient plus en la démocratie telle qu’elle existe. Ils rêvent d’un pouvoir fort, autoritaire, qui tranche et impose. Certains affirment même : « En France, il nous faudrait un Poutine », en le présentant comme un dirigeant autoritaire mais efficace, une sorte de « Hitler contemporain », dont on retient avant tout la capacité à redresser son pays. Ces mots, d’une violence symbolique extrême, témoignent d’un basculement dangereux dans l’imaginaire collectif. Comment expliquer qu’une partie de la jeunesse, censée incarner l’avenir, en vienne à admirer des figures qui foulent aux pieds les libertés ?
La tendance mondiale confirme cette inquiétude. Une étude internationale révèle qu’aujourd’hui, 71 % de la population de la planète vit sous une dictature. Il y a seulement dix ans, ce chiffre n’était « que » de 48 %. En une décennie, plus de 20 % de l’humanité a basculé vers des régimes autoritaires. Les démocraties se raréfient, elles reculent, elles se contractent comme une peau vivante qu’on déchire peu à peu. Ce constat doit alarmer chacun de nous, car il s’agit d’un glissement rapide et profond, qui pourrait, si nous n’y prenons garde, emporter définitivement l’édifice fragile des libertés.
La Fondapol, un laboratoire d’idées français, apporte des chiffres encore plus saisissants. Selon une étude récente, 38 % des jeunes de moins de 35 ans déclarent qu’un autre système politique que la démocratie pourrait faire l’affaire. Pire, 42 % des jeunes de 18 à 35 ans estiment qu’un militaire au pouvoir pourrait être une bonne solution. Et 35 % pensent même qu’un dirigeant gouvernant sans élections ni parlement n’est pas forcément une mauvaise idée. Derrière ces chiffres, ce n’est pas seulement une curiosité intellectuelle que l’on observe, mais un véritable rejet des fondements de notre vivre-ensemble.
Comment en est-on arrivé là ? L’usure des promesses politiques non tenues, la corruption, la sensation d’abandon d’une partie de la population, mais aussi le spectacle permanent de querelles partisanes stériles ont miné la confiance dans les institutions démocratiques. Les jeunes, souvent confrontés au chômage, à la précarité, à l’absence de perspectives, ne voient plus dans la démocratie une protection, mais un système faible, inefficace, incapable de répondre à leurs attentes. Ils se tournent alors vers des figures autoritaires, espérant trouver dans la force et la verticalité un substitut à l’impuissance ressentie.
Pourtant, céder à cette tentation, c’est renoncer à la liberté. C’est accepter que des décisions soient imposées sans contrôle, que la critique soit étouffée, que la peur remplace le débat. L’histoire nous a pourtant montré, avec une clarté tragique, ce que deviennent les sociétés lorsqu’elles abandonnent leurs droits fondamentaux : la violence, la répression, l’exclusion, et parfois l’horreur.
Face à cette menace, il faut rappeler une vérité simple : la démocratie n’est pas parfaite, elle est lente, parfois désordonnée, souvent frustrante. Mais elle reste le seul système qui donne une voix à chacun, qui permet de corriger ses erreurs, qui garantit la liberté d’expression, et qui, malgré tout, protège contre l’arbitraire des puissants.
Nous devons aussi rendre hommage aux dirigeants, rares mais courageux, qui acceptent encore de soumettre leurs idées et leurs projets au suffrage universel. Malgré la tentation de l’autoritarisme qui gagne du terrain, malgré la lassitude des peuples, ces responsables politiques continuent à consulter leurs citoyens. Ils font le choix difficile mais noble de demander l’avis de la population, même lorsque cet avis est critique, divisé ou incertain. À travers eux, la démocratie respire encore, elle persiste, elle survit.
C’est pourquoi, dans ce moment de fragilité, un appel urgent doit être lancé aux citoyens. À ceux qui vivent dans des pays où le vote existe encore, où l’on peut s’exprimer librement, où chaque voix compte : faites usage de ce droit précieux. Le vote n’est pas seulement un geste symbolique, c’est un acte de résistance.
C’est la manière la plus pacifique et la plus puissante de défendre la démocratie contre les forces qui la menacent. Là où ailleurs des millions de femmes et d’hommes n’ont pas ce droit, il serait tragique de gaspiller le nôtre par désintérêt ou par résignation.
La démocratie représentative est en danger, mais elle n’est pas encore morte. Elle peut être sauvée si chacun de nous en comprend la valeur et agit pour la défendre. Le combat n’est pas abstrait, il est quotidien, il se joue dans les urnes, dans les débats, dans la vigilance face aux dérives autoritaires. Le jour où nous renoncerons à voter, à participer, à nous battre pour nos libertés, ce jour-là, nous aurons signé l’arrêt de mort de ce qui reste notre bien commun le plus précieux c’est-à-dire la démocratie.
Par Aboubacar SAKHO
Expert en Communication