Le 14 septembre 2024 restera dans les mémoires comme un jour de justice pour les victimes des déguerpissements de Kaporo Rails, Kipé, et Dimess. Après des années d’attente, de souffrances et de luttes, ces familles ont enfin reçu leurs titres fonciers et parcelles dans la préfecture de Coyah, à Wonkifong, marquant un pas important vers la réparation des injustices qui ont jalonné ces trois dernières décennies.
Le Premier Régime Guinéen : Les Fondations de la Modernisation Urbaine
L’histoire de Kaporo Rails trouve ses racines dans la période du premier régime guinéen sous Ahmed Sékou Touré, président fondateur de la République de Guinée. C’est à cette époque que les premières initiatives de modernisation urbaine ont été lancées, notamment à Conakry. Le pays, fraîchement indépendant, cherchait à se développer et à structurer sa capitale, et des zones comme Kaporo Rails étaient considérées comme des secteurs à réaménager.
Cependant, sous ce premier régime, les actions d’aménagement urbain n’ont pas encore pris la forme brutale des déguerpissements massifs qui allaient survenir plus tard. Les premières évictions ont commencé, mais sans l’ampleur des destructions observées sous les régimes suivants. Les habitants de Kaporo Rails ont vécu dans une incertitude croissante, alors que les rumeurs de réaménagement urbain circulaient, sans être concrétisées de manière visible.
Les Déguerpissements Massifs de 1998 sous Lansana Conté
En 1998, sous le régime du Général Lansana Conté, le gouvernement a pris des mesures drastiques en lançant une vaste campagne de déguerpissement dans plusieurs quartiers de Conakry, dont Kaporo Rails. La justification officielle était la modernisation et le réaménagement urbain. Cependant, la brutalité avec laquelle ces déguerpissements ont été menés a marqué l’histoire.
Des maisons, des écoles, des mosquées, et des marchés ont été rasés, laissant des milliers de familles sans toit ni recours. Le manque de compensation et l’absence de relogement ont engendré une vague de colère et d’indignation. Ce fut le début d’une longue période de lutte pour la reconnaissance des droits des déguerpis de Kaporo Rails.
Les Gouvernements de Transition : Des Années de Silence
Après la mort de Lansana Conté en 2008, la Guinée a connu une période de transition sous le Capitaine Moussa Dadis Camara puis le Général Sékouba Konaté. Bien que la question de Kaporo Rails soit restée présente dans la société guinéenne, ces gouvernements de transition, préoccupés par la stabilité politique et la gouvernance du pays, n’ont pas accordé une priorité à la question des déguerpis. Pendant cette période, les victimes ont continué à revendiquer leurs droits, sans véritable réponse de l’État.
2019 : Une Nouvelle Vague de Déguerpissements sous Alpha Condé
L’élection du Président Alpha Condé en 2010 a ravivé l’espoir parmi les victimes de Kaporo Rails, Kipé et Dimess. Cependant, en 2019, une nouvelle vague de déguerpissements a frappé ces quartiers. Encore une fois, des maisons, des écoles, et des lieux de culte ont été détruits, et des familles ont été laissées à la rue, sans compensation ni relogement adéquat.
Ce déguerpissement a rappelé aux habitants de Kaporo Rails les événements tragiques de 1998, et a ravivé la colère et la frustration contre l’État. Le sentiment d’injustice s’est amplifié, renforçant la perception d’un abandon des populations les plus vulnérables par le gouvernement.
La Mobilisation Sociale pour la Justice
Face à ces événements, la société civile guinéenne s’est mobilisée. Les voix des citoyens ordinaires, des associations et des organisations de défense des droits humains ont porté haut et fort l’appel à la justice pour les déguerpis de Kaporo Rails, Kipé et Dimess. Ce mouvement a contribué à maintenir la pression sur les autorités, tout en attirant l’attention des organisations internationales.
2024 : L’ère Doumbouya et la Réparation des Injustices
L’arrivée au pouvoir du Colonel Mamadi Doumbouya en 2021 a marqué un tournant. Dès les premiers mois de sa présidence, il a mis en avant la nécessité de réparer les injustices sociales et de renforcer la cohésion nationale. La question des déguerpis de Kaporo Rails, Kipé et Dimess est rapidement devenue une priorité de son gouvernement.
Le 14 septembre 2024, lors d’une cérémonie présidée par le Général Amara Camara, Secrétaire Général de la Présidence, les titres fonciers ont été remis à plus de 2683 familles, qui ont également reçu des parcelles aménagées à Wonkifong, dans la préfecture de Coyah. Cet acte de restitution est un geste fort de l’État pour corriger les erreurs du passé.
« Je voudrais que cette cérémonie soit pour vous, pour nous, mais aussi pour tous les Guinéens, le symbole que le chef de l’État est résolument engagé à sécher les larmes de tous les fils de ce pays », a déclaré le Général Amara Camara.
Un Nouveau Départ pour les Familles Affectées
Contrairement aux promesses précédentes, les terres attribuées sont aménagées, avec des titres fonciers légitimes, garantissant une stabilité à long terme pour les familles. La SONAPI, sous la direction de Maïmouna Laure Mah Barry, a veillé à ce que ces terres soient préparées pour une utilisation immédiate.
« En rétablissant les droits fonciers des victimes de Kaporo Rails, nous faisons un pas concret vers la guérison des blessures du passé. La paix durable ne peut être bâtie que sur la justice et la réconciliation », a affirmé Maïmouna Laure Mah Barry.
Des Défis Restent à Relever
Malgré ce grand pas en avant, Samba Sow, président du Collectif des Victimes, a souligné que certains défis demeurent. La mise en place d’un fonds d’indemnisation est essentielle pour permettre aux familles de se reconstruire pleinement. Il a également insisté sur la nécessité de sécuriser les terres attribuées afin d’éviter de nouvelles occupations illégales.
« Le pas le plus important est franchi, mais nous demandons humblement au Président Doumbouya de continuer à nous assister pour que justice soit rendue jusqu’au bout », a déclaré Samba Sow.
Un Espoir de Réconciliation Nationale
La restitution des terres à Kaporo Rails, Kipé et Dimess est bien plus qu’une simple réparation matérielle. Elle symbolise la volonté de l’État guinéen de réparer les injustices du passé et de bâtir une société basée sur la justice sociale et la réconciliation nationale.
Les familles des déguerpis retrouvent aujourd’hui leur dignité, et la Guinée, à travers cette action, montre qu’elle est prête à tourner la page sur cet épisode sombre de son histoire, en posant les bases d’un avenir plus équitable et plus inclusif.
Ousmane Fatoumata Camara, OFC, PMP