La rentrée des classes en Guinée n’a jamais été un simple calendrier administratif. Chaque année, nous le savons, elle soulève des débats passionnés, des inquiétudes récurrentes et, parfois, des espoirs renouvelés. L’annonce du ministère de l’Enseignement Pré-Universitaire et de l’Alphabétisation fixant la rentrée au 15 septembre 2025 n’échappe pas à cette tradition. Certains l’ont accueillie comme une mesure logique, d’autres comme une décision précipitée. Mais au fond, cette annonce met en exergue encore une fois une question plus vaste, comment concevons-nous le temps scolaire et l’organisation de l’éducation dans notre pays ?
Les élèves guinéens viennent de bénéficier de près de quatre mois de vacances. Une pause longue, sans doute trop longue, surtout si l’on considère les retards accumulés dans l’exécution des programmes au fil des années. Dans de nombreux pays, trois mois suffisent largement pour offrir du repos aux élèves, du temps de formation aux enseignants et une respiration aux familles. Chez nous, on a presque banalisé ces interruptions prolongées, sans toujours mesurer les effets sur le niveau des élèves. Or, il ne faut pas se voiler la face, un élève guinéen qui passe autant de temps hors du cadre scolaire perd une partie de ses acquis. Le cerveau, comme un muscle, a besoin d’entraînement régulier. Quand l’école s’étire, la mémoire se rétrécit.
Dans ce sens, la décision d’avancer la rentrée à la mi-septembre apparaît cohérente. Mais là où le bât blesse, c’est dans la méthode. Cette annonce aurait dû être faite dès le mois de juin. Pas pour meubler un agenda ministériel, mais pour permettre aux parents d’anticiper, aux enseignants de s’organiser, et aux élèves de se préparer mentalement. Car on ne gère pas l’éducation d’une nation comme on gère une simple réunion, il faut du temps, de la prévisibilité et un minimum de concertation. Les familles guinéennes traversent une période difficile, beaucoup peinent à rassembler les moyens nécessaires pour inscrire leurs enfants, acheter les fournitures et payer les frais annexes. Dans ce contexte, un délai de quelques semaines supplémentaires pour se préparer n’est pas un luxe, mais une nécessité.
Pour autant, il faut reconnaître que les arguments du ministre Jean Paul Cedy ne manquent pas de pertinence. Si la Guinée aspire à rejoindre un jour les nations qui font de l’éducation un levier puissant de développement, il faut accepter de revoir nos habitudes. Nous ne pouvons pas continuer à perdre des semaines entières en début d’année scolaire, sous prétexte que « les cours sérieux commencent en octobre » ou que « les enseignants attendent les affectations ». Ces petites habitudes, accumulées année après année, expliquent en partie pourquoi nos élèves peinent à rivaliser dans les concours internationaux ou pourquoi les taux de réussite au baccalauréat oscillent au gré des improvisations. Le monde avance vite, et nous ne pouvons pas rester figés dans un calendrier qui nous fait perdre du temps au lieu d’en gagner.
Cette année, un autre élément s’ajoute : le calendrier politique. La rentrée scolaire coïncidera avec l’organisation du référendum. Tout le monde sait que dans ces moments-là, le pays ralentit. Les écoles ferment, les enseignants sont mobilisés, et les élèves se retrouvent à la maison sans que personne ne sache vraiment quand ils reprendront le chemin des classes. C’est précisément pour anticiper ces aléas que le choix d’une ouverture anticipée prend son sens. En démarrant tôt, on peut espérer rattraper les journées qui seront inévitablement perdues. Car il ne faut pas se leurrer, le politique, en Guinée, prend souvent le pas sur le scolaire. La différence se joue alors sur la capacité des autorités à limiter les dégâts.
Un autre point mérite d’être rappelé : certaines écoles, notamment celles qui entretiennent des partenariats avec des institutions étrangères, ont déjà pris l’habitude d’ouvrir leurs portes dès le mois de septembre. Elles le font sans bruit, sans polémique, et leurs élèves en sortent souvent avec un meilleur niveau. Pourquoi ce qui est possible pour elles ne le serait-il pas pour l’ensemble du système éducatif guinéen ? Peut-être parce qu’elles fonctionnent avec des moyens plus stables et un encadrement plus rigoureux. Mais cela devrait justement nous inspirer. Plutôt que de regarder ces établissements comme des exceptions, faisons-en des modèles.
Reste la question la plus délicate, celle des parents. Beaucoup se sentent pris de court, contraints de réaménager leurs budgets en pleine crise de liquidité. La rentrée scolaire est déjà une épreuve financière en temps normal, elle devient un fardeau supplémentaire lorsqu’elle arrive plus tôt que prévu. C’est ici que l’État devrait accompagner, non pas seulement par des annonces, mais par des mesures concrètes, exonérations temporaires de certains frais, soutien ciblé pour les familles vulnérables, distribution effective de kits scolaires. On ne peut pas demander aux parents de se lever tôt pour l’avenir de leurs enfants, sans leur donner les moyens de le faire.
En gros, cette rentrée du 15 septembre n’est pas une mauvaise idée en soi. Elle nous oblige à repenser notre rapport au temps scolaire, à sortir des habitudes qui nous retardent et à admettre que l’école doit être une priorité.
Oumar M’Böh