Alpha Ousmane BARRY, Professeur des Universités en France
Libre Opinion : D’une manière ou d’une autre, dès que l’on envisage la situation politique en Guinée, se pose toujours à nous une série de questions à l’infini, comme si nos idées tournaient en boucle. D’une certaine manière, on est en droit de penser que ce qui se joue dans notre pays ressemble à une sorte de conte de fée qu’on raconte à des enfants pour les amuser.
En endossant l’étiquette d’un simple observateur, on peut inférer que tout se passe comme si les acteurs politiques dans l’arène infantilisaient en permanence le peuple voire tournaient les citoyens en dérision. Mais avant de s’attarder sur ce sujet, un petit détour ne serait pas inintéressant, histoire de revisiter le passé et de réveiller les mémoires endolories par les âpres de la vie quotidienne.
Nul guinéen ne se représentait en 1984, après la mort du Responsable Suprême de la Chose populaire et révolutionnaire, que l’armée bafouée depuis 1965 allait s’imposer comme force alternative du changement. Toutefois, contre toute attente, dès que le grand Timonier a tiré sa révérence, l’armée en haillon à cette époque s’est réveillée de sa torpeur et a fait irruption sur la scène politique. Depuis cette date -de prise de sa revanche sur les civils-on comptabilise en plus la tentative ratée du Colonel Diarra Traoré au mois de juillet 1985 et la mauvaise sortie de quatre officiers, férus d’idéologie communautariste en février 1976. N’ayant pas pu accorder leurs violons, ils ont banalement libéré leur otage qui du même coup a repris les rênes du pouvoir et les a expédiés en prison. Tous ces événements singuliers ont jeté les bases d’une situation d’instabilité politique pérenne dans notre beau–pays-la Guinée. Ainsi, aussitôt après la disparition du Général Lansana Conté en 2008, l’armée a-t-elle imposé à nouveau sa présence sur la scène publique. S’ensuit, treize ans après, un autre épisode de cette histoire mouvante avec l’irruption des bidasses dans le renversement récent de notre génialissime Professeur-bien-aimé. Bilan : cinq coups d’Etat dont deux ratés et trois réussis. La cadence de ces événements cycliques, qui constituent une menace pour la stabilité de la République, mérite qu’on y réfléchisse.
L’être et le paraître en politique.
Dans la vie politique, il s’avère difficile de dissocier le faux du vrai, la sincérité de la duplicité, la bonne foi de la dissimulation ; tant ces couples font corps commun comme les deux faces d’une pièce de monnaie. Conformément à cette distribution complémentaire d’antonymes, notre professeur-bien-aimé nous a appris que « plus le mensonge est gros, plus les Guinéens y croient et y adhèrent ». C’est ainsi qu’il s’est auto-proclamé Professeur. Heureusement qu’en lisant l’ouvrage d’Ibrahima Baba Kaké intitulé : « Sékou Touré. Le Héros et le Tyran (1987) », on découvre à la page 152 la précision suivante : « Alpha Condé, assistant à la faculté de droit de Paris 1 ». La coexistence de ces deux figures (l’être et le paraître) chez l’homme politique, atteste la manière dont Alpha Condé a caché aux Guinéens le vrai fondement de sa personne.
Ainsi a-t-il promis indûment des TGV, des usines, la démocratie, et surtout il s’est fait passer pour opposant historique. La zone d’ombre, qui se déploie entre ces deux assomptions, correspond à celle que couvre la farce. Par exemple, l’image pompeuse de « l’opposant historique » qui n’en est pas une, ouvre un autre chapitre de l’être et du paraître. Car ce n’est pas un secret que Alpha Condé était « collabo », un agent de renseignement au service de Sékou Touré.
En effet, même si deux petits détails constituent une couverture pour le président déchu : sa condamnation par contumace et son ouvrage « La Guinée ou l’Albanie de l’Afrique », il ne s’agit qu’une apparence qui masque la réalité. Dans le même ordre d’idées, en lisant l’un des derniers textes du Professeur Ansoumane Doré (Paix à son âme !) à propos de Jean-Marie Doré et de ses tribulations politiques, un détail retient l’attention. Le Professeur Doré à propos d’Alpha Condé indique : « qui a réussi à se faire passer pour un opposant historique ». Si tout cela est une chose, le fait de promettre aux Guinéens la démocratie et le bien-être et de réprimer toutes les manifestations dans le sang constitue l’aspect le plus sombre de son passage à la tête du pouvoir.
Théâtralisation ou mises en scènes de liturgies politiques ?
Depuis Machiavel on sait qu’en politique, le plus important est de montrer un aspect des choses, car pour lui « le peuple se prend toujours aux apparences et ne juge que par l’événement ». D’où l’idée géniale à propos de l’exercice du pouvoir : « Gouverner c’est paraître et qui veut la fin veut les moyens ». De ce fait, la non-transparence au monde réel de la parole politique, atteste que l’Être dans le discours avec la variété de ses images fantomatiques, ne correspond guère à l’Être en chair et en os dans le monde. Dans ce cas, l’homme politique est comparable à un acteur de théâtre qui, à chaque sortie des coulisses, revêt le visaged’un autre personnage. La distorsion entre les deux réalités relève tout simplement du faire-croire que Boudon (1990) appelle « l’art de persuader des idées douteuses, fragiles et fausses ». En d’autres termes, manipulations et torsions de tous ordres participent à la construction de croyances, en tant que fondement de l’opinion publique. Identité manipulée ou identité de façade peu importe finalement, mais ce qi importe en revanche est de comprendre qu’en politique la construction des croyances ne reflète en rien la vraie nature des choses ; elle réponde tout simplement à un enjeu de conquête et d’exercice du pouvoir.
Quel lien avec l’actualité politique guinéenne
En appliquant ces considérations à la situation qui prévaut actuellement en Guinée, cela amène à se demander si les sorties médiatiques, et les décisions du CNRD n’étaient pas sujettes à caution. En d’autres termes, la discordance entre les valeurs sociales positives que la junte militaire au pouvoir revendique et celles qu’elle incarne réellement, correspond sans doute à ce que Barthes (1957) nomme Mythologie. A propos de la mythomanie des hommes politiques, l’auteur soutient que « le discours idéologique comprend à la fois, une précieuse ambiguïté, l’être et le paraître du pouvoir, ce qu’il est et ce qu’il voudrait qu’on le croie ». En effet, devenus acteurs politiques par la force des choses, nos braves militaires du CNRD amusent par leurs modes de théâtralisation de la vie politique. Les nominations à compte-gouttes en sont un exemple frappant pour deux raisons : i) d’une part tel un feuilletage narratif, elles aiguisent l’appétit de savoir que va-t-il se passer demain. Ainsi créent-elles une curiosité immense chez le peuple. Finalement à chaque épisode son feuilleton et ses débats, ce qui permet d’occuper le temps voire de canaliser les esprits, puis de maîtriser temporairement l’opinion toujours dans l’attente de ce qui va suivre ; ii) d’autre part, une telle stratégie consistant à imposer la discontinuité, entre accélération et ralentissement, ne permet guère de conduire une analyse aboutie de la situation. Tout événement susceptible de défrayer l’actualité peut contredire l’analyse menée précédemment.
En termes de marketing politique cela s’appelle le Storytelling (l’art de raconter des récits en politique). Cette stratégie consiste à forger une histoire et l’imposer dans l’agenda politique. Les décisions politiques étant soumises aux variations de l’opinion publique, d’où la relation qui se tisse entre l’agenda de préoccupation des citoyens, l’agenda politique et médiatique. Ainsi, pour occuper l’espace public, faire l’événement de l’actualité, le CNRD crée-t-il l’événement, une histoire que les médias racontent en litanie. A la différence de Lansana Conté droit dans ses bottes, de Dadis Camara, enjoué et frénétique, le CNRD impose aux Guinéens son calendrier, canalise les citoyens par des décisions qui soufflent aux oreilles des mots visant à enfler leur vanité, à les émouvoir. C’est sous ce label que se gère le tempo à leur convenance. Il faudra sans doute la sortie du bras manchot de sa cachette pour que les Guinéens comprennent la vraie nature du jeu politique en cours.
Dans le sillage de ce qui vient d’être dit, les nominations de militaires à la tête des préfectures, des régions et de certains ministères, le recyclage d’anciens collabos et la vie tranquille que mènent les anciens ministres du pouvoir déchu, attestent que nos braves soldats prennent corps dans tous les services de l’Etat selon le principe de la « charité bien ordonnée commence par soi ». Ainsi, l’armée guinéenne se politise davantage qu’auparavant. Mais si cela ne semble poser aucun problème dans le présent, c’est l’avenir qui interroge ; car il y aura certainement un avant et un après à tout cela. La conséquence logique de cette situation induit que tout locataire de la présidence de la République sera obligé de composer avec ces militaires, qui ont pris goût dans l’occupation des rênes du pouvoir. Il faudra donc de tout temps donner à ces « chèvres » de l’herbe fraîche à brouter. Or pour se développer, la Guinée a besoin d’instituer une gestion saine et rigoureuse, ce qui présuppose une diminution drastique du train de vie de l’Etat. Une telle disposition va sans doute s’avérer dans les faits, très problématique. Face à cette situation, on se demande dans la foulée : quelle solution et à quand la solution ! En attendant d’y voir plus clair, quelqu’un m’a appris un secret qu’il est louable de partager avec vous : « la souffrance est à toute personne qui se met à réfléchir sur comment résoudre les problèmes guinéens ».
Alpha Ousmane BARRY, Professeur des Universités en France