Sur la voie du retour à l’ordre constitutionnel, notre pays connaît des manifestations violentes. En dépit des efforts fournis par les acteurs sociopolitiques et les amis de la Guinée, ces derniers temps, les appels à la retenue et au dialogue inclusif n’y ont rien pu. Un contexte défavorable à une coopération fructueuse avec la communauté internationale seule capable de soutenir et accompagner le régime de la transition. Pourtant, de l’avis de plusieurs observateurs, le coup d’Etat du 5 septembre 2021 est une chance à ne pas rater pour mettre le pays sur les rails après des décennies de crise politique.
Pour mieux décrypter la situation, nous avons approché le banquier et leader politique Bah Oury. Cet ancien parlementaire et ancien ministre chargé de la Réconciliation nationale est le président de l’UDRG (Union des démocrates pour la renaissance de la Guinée). Il propose quelques clés et pistes pour une transition réussie et apaisée.
Le Populaire: Monsieur le président de l’Udrg, comment se porte votre parti politique actuellement?
Bah Oury: Je vous remercie. Vous savez que nous avons eu un itinéraire politique en dents de scie. Nous avons créé auparavant des organisations politiques qui ont prospéré à un moment donné. Et des crises internes ont fait que nous avons été obligés de tenter une autre démarche. C’est dans ce cadre que l’Udrg a été mise en place il y a pratiquement deux ans de cela.
Depuis lors nous sommes en train d’implanter le parti aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur. Le processus d’implantation est un processus très difficile et très coûteux. Malgré tout, nous sommes dans un bon élan.
Vous qui n’êtes plus à présenter dans le landerneau politique, dites-nous, quelle est votre lecture de la situation actuelle de la Guinée qui, hélas, renoue avec la violence ces derniers temps?
Vous savez, la situation de la violence en Guinée est une situation endémique. Depuis très longtemps, la mentalité politique a toujours été dominée par la violence, depuis pratiquement les premières heures de l’indépendance jusqu’à présent. Cette mentalité cause beaucoup de torts à la population et au pays. Dans un contexte où des nations sont en train de progresser , nous sommes toujours marqués par ces retours en arrière. Notamment on dénombre des morts à chaque manifestation et je pense que ceci doit être stoppé. Ceci dit, la transition actuelle est une ultime chance pour qu’on puisse régler tous ces problèmes-là : cette mentalité de violence, remettre en place un système démocratique, un système de gestion qui promeut la bonne gouvernance. Ce n’est pas facile et les mesures qui sont prises dans le cadre de la restructuration de la gouvernance amène des résistances et ces résistances, surtout par rapport aux crimes économiques, deviennent de plus en plus fortes. Puisque c’est la première fois, depuis très longtemps, qu’un gouvernement s’attaque directement aux manifestations concrètes de la corruption et de détournement des deniers publics. Cela fait que l’ambiance politique est marquée de manière sous-jacente par cette problématique. Maintenant, à la surface on fait comme si c’est la concertation, c’est le dialogue, c’est la feuille de route de la transition, qui posent problème alors que la vraie racine c’est le fait de s’être attaqué à l’une des racines de la mauvaise gouvernance de notre pays.
Partant de l’expérience de 2010, qu’est-ce qu’il faut, selon vous, pour une transition réussie en Guinée ?
La qualité des dirigeants politiques de tout bord est très importante. Si cette qualité était suffisante on n’aurait pas eu de problème et les choses allaient se faire correctement dans un consensus, je dirais très large. Malheureusement tel n’est pas le cas. Nous avons besoin de remettre en force les leviers, disons, de l’organisation des élections de manière correcte avec un fichier électoral indiscutable. Nous avons besoin que la population ait les moyens de son identification. C’est-à-dire avoir un fichier d’état civil de tel sorte que chacun de nos compatriotes puisse avoir une carte d’identité digitalisée. Si tel n’est pas le cas, nous ne pourrons pas nous en sortir avec cette mentalité qui a toujours dominé le pays dans une direction qui n’est pas en conformité avec les intérêts du pays. Ces deux facteurs nécessitent du temps et des investissements. D’où la nécessité d’une entente avec la Cédéao. Et un accord avec la Cédéao est indispensable pour nous permettre de bénéficier de la coopération de la communauté internationale afin d’accompagner la Guinée dans cette transition.
Quel est le rôle que vous entendez jouer pour faciliter les relations difficiles entre les autorités de la transition et les ténors de la classe politique ?
Personnellement, j’essaie, à travers nos actions, nos propos, nos attitudes, de partager l’expérience que nous avons eue des transitions notamment celle de 2009-2010. Également des autres tentatives de rectification que nous avons connues sous le temps du général Lansana Conté. Mais ce n’est pas facile et c’est le premier élément. Le deuxième élément, c’est que nous avons été impliqués dans l’organisation des Assises nationales. Parce que nous considérons que là, aussi, c’est un terrain privilégié pour rapprocher tous les acteurs y compris les populations avec la nécessité d’avoir une optique allant dans le sens d’une construction d’un processus de réconciliation nationale dans le pays. La troisième chose, c’est que nous essayons de mettre, dans un certaine mesure, les autorités de la transition dans une optique qui cadre les indispensables nécessités d’avoir une feuille de route qui, à la fois, prend en compte les erreurs du passé et pour nous permettre de ne pas traîner les pieds au risque que la transition ne s’enlise.
Partant de ce que vous venez de souligner, quel est votre message à l’endroit des autorités de la transition et des populations ?
Par rapport aux autorités de la transition, je pense qu’il faut qu’elles aient le focus sur l’intérêt national, l’intérêt général, l’intérêt d’une transition concertée et réussie. Et ne pas essayer de faire comme s’ils sont obligés de répondre à l’attitude de certaines forces qui les contestent. Parce que sinon elles risquent d’être détournées de leur chemin par ces genres d’attitudes qui ne sont pas du tout des attitudes constructives. Donc, il faut que les autorités de la transition fassent preuve de prudence, de retenue et de ne s’atteler qu’à l’essentiel. L’autre chose, c’est que la population doit prendre ses responsabilités qui consistent à se dire que cette transition c’est l’affaire de nous tous. Par exemple, le long de l’axe (de la démocratie à située entre Hamdallaye, Bambéto, Cosa à Conakry et Kagbélen dans la préfecture de Dubréka), il faut que les riverains prennent leur responsabilité. Il ne faut qu’ils acceptent que l’axe, Le Prince, soit le terrain privilégié de tous les conflits et de n’importe quel conflit qui risque de les mettre dans une situation de danger ou bien les stigmatiser comme étant une zone de non-droit ou une zone d’insécurité au risque de dévaloriser leur patrimoine humain et immobilier. Donc, de ce point de vue, il faut que les populations de l’axe se reprennent et prennent en charge leur propre destin pour ne pas se laisser entraîner dans des dérives qui ne les serviront pas du tout, au contraire. La population guinéenne de manière globale doit savoir que nous sommes dans un contexte international très difficile. Sur le plan national, aussi, nous sommes dans un contexte social et économique très difficile. Le processus actuel pour qu’il ait un impact sur la population nécessite un peu d’efforts, une meilleure organisation. Mais avec tous les problèmes que nous engrangeons aujourd’hui, il faut de la patience.
Source: Le Populaire