L’URGENCE DE REFORMER LE MODE D’ELECTION DES DEPUTES AU SENEGAL
Ce lundi 05 février 2024, l’Assemblée nationale du Sénégal, en séance plénière, a adopté et approuvé la proposition de loi portant dérogation aux dispositions de l’article 31 de la Constitution de la République du Sénégal.
Il a fallu une journée entière, dans une ambiance très tendue, jusqu’à l’intervention de la gendarmerie, pour valider le report controversé de l’élection présidentielle. Cet acte indigne a entaché davantage notre démocratie dont la vitrine vient d’être, non seulement brisée, mais également souillée en profondeur. Le Sénégal, vu de loin, a longtemps fait figure de modèle en Afrique francophone : le premier a tenté le multipartisme ; le premier à voir un président, Léopold Sédar Senghor, quitter volontairement le pouvoir ; le premier à vivre des alternances démocratiques et pacifiques.
Comment une proposition de loi peut-elle prolonger la durée du mandat du président de la République sachant que celle-ci est frappée d’une clause d’intangibilité ? Pour rappel, le Sénégal a adopté lors du référendum de 2016 l’intangibilité des dispositions relatives à la forme républicaine de l’Etat, la laïcité, le caractère indivisible, démocratique et décentralisé de l’État, au mode d’élection, à la durée et au nombre de mandats consécutifs du président de la
République.
Certains députés qui s’étaient battus le 23 juin 2011, lors de l’examen d’un projet de loi controversé visant à faire élire en 2012 un président et un vice-président avec 25% des voix au premier tour et contre le 3e mandat du président Abdoulaye Wade ; les mêmes députés ont entériné la proposition de loi qui va prolonger implicitement le mandat du président Macky SALL d’environ d’un (1) an. Hélas, les mêmes causes ont produit les mêmes effets, dira-t-on.
Lors des élections législatives, on élit certains députés qui ne savent ni le sens de leur responsabilité, moins celui de leur fonction. Et malheureusement, on se retrouve dans une situation qui n’honore pas l’hémicycle de par leur comportement.
Partant de ce constant, le débat sur la réforme du mode de scrutin relatif à l’élection des députés s’impose. Le mode de scrutin actuel a une influence déterminante sur l’adoption de certaines lois controverses à l’Assemblée nationale, notamment « la majorité mécanique ».
Le temps de la dictature parlementaire, marqué par une détermination inouïe des députés à faire passer des lois anticonstitutionnelles pour assurer leur pérennité au pouvoir, s’invite souvent à l’approche des échéances électorales. L’Assemblée nationale est devenue un désert de la démocratie et un champ de ruines démocratiques. Les précédentes législatures ne cessent de ruiner les belles architectures démocratiques sénégalaises érigées pour le rayonnement de la démocratie en Afrique ; lesquelles architectures sont progressivement, purement et simplement saccagées.
Il faut hélico presto empêcher que l’image de l’Assemblée nationale du Sénégal ne se défasse sous les coups de boutoir de médiocres députés pouvant tout détruire, ne sachant plus convaincre dès lors que le débat parlementaire s’est abaissé jusqu’à être la servante de l’oppression et de la haine.
Cette analyse apocalyptique de l’Assemblée nationale du Sénégal ne doit cependant pas amener à la démission ou à la fatalité, mais au contraire à la recherche des voies et moyens pouvant assurer son efficience afin qu’elle puisse échapper à la tyrannie, le plus souvent, de l’exécutif à travers sa majorité mécanique.
Pour en finir avec cette situation qui ternisse l’image de l’Assemblée nationale du Sénégal voire de la République, une enquête de moralité des candidats à la députation pourrait beaucoup aider.
D’ailleurs, cela est d’autant plus important qu’un changement de mode d’élections des députés permettra de mettre hors circuit des parlementaires qui sont malheureusement sous les ordres de l’exécutif au détriment du Peuple.
Donc un changement s’impose, pour un meilleur choix des députés qui vont remplir leur fonction au niveau de cette haute Institution, en termes de débats, de propositions de loi, d’évaluation des politiques publiques, etc. Cette réforme est nécessaire pour apporter des améliorations qui s’inscrivent dans une logique de renforcement de la démocratie. On doit y penser et ne pas faire des réformettes en fonction des calculs politiques comme on a l’habitude de le faire. Il faut choisir des experts qui vont y pencher afin d’améliorer la fonction de cette Institution, tout en tirant des leçons de ces dérives auxquelles nous avons assisté.
Dans la même veine, il est nécessaire d’approfondir la réflexion sur l’instauration d’un serment au niveau de l’Assemblée nationale. Après un scrutin, les députés élus doivent être assermentés par le Secrétaire général de l’Assemblée nationale pour pouvoir siéger au sein de cette institution. Ils seront passibles de poursuites judiciaires pour haute trahison, après la fin de leur mandat, une fois qu’ils seront amenés à voter des lois contre l’intérêt du Peuple.
Sur le plan représentatif, il est ainsi nécessaire de ne pas limiter leur composition aux seules forces politiques en présence ; la composition de l’Assemblée nationale doit être davantage ouverte aux membres de la société civile notamment les auxiliaires de justice, les confessions religieuses, les organisations de défense des droits de l’homme, les universitaires, etc.
Le député du Peuple doit agir pour le Peuple ; il doit agir pour l’intérêt supérieur de son mandant.
Dr Landing BIAYE
Enseignant Chercheur
Ancien Assistant parlementaire à l’Assemblée nationale du
Sénégal