Chaque année, la pluie revient. Et chaque année, elle emporte des vies, des maisons, des espoirs. Ce ne sont pas des catastrophes naturelles. Ce sont des crimes sociaux, des assassinats collectifs maquillés en fatalité climatique. L’eau n’est que l’arme du crime. Les véritables assassins sont bien connus.
Les criminels, ce sont les décideurs qui ferment les yeux sur l’occupation anarchique des zones inondables, qui laissent bétonner les marécages et construire dans les lits des rivières. Ceux-là mêmes qui signent, autorisent ou se taisent, par incompétence, par calcul ou par pure lâcheté.
Ce sont les agents de l’État – les forces de l’ordre qui perçoivent des pots-de-vin pour détourner le regard pendant qu’on érige des murs au-dessus des canalisations. Ceux qui échangent leur uniforme contre quelques billets, pendant que l’ordre public se noie dans la compromission.
Ce sont les magistrats, silencieux et absents, qui n’ouvrent des enquêtes que quand les cercueils sont alignés, mais qui ne les referment jamais. Qui n’interpellent jamais les responsables. Qui se contentent de phrases creuses, de communiqués de compassion et de “plus jamais ça” qu’on réentend dès la prochaine pluie.
Ce sont les citoyens, aussi. Oui, nous. Parce qu’on jette nos ordures dans les caniveaux, qu’on construit sur les servitudes hydrauliques, qu’on bouche les passages naturels de l’eau. Parce qu’on applaudit les détourneurs de fonds publics tant qu’ils arrosent nos fêtes. Parce qu’on a troqué notre colère civique contre une résignation complice.
Ce sont aussi les religieux, ceux qui prêchent la morale mais gardent le silence devant l’injustice. Ceux qui bénissent les voleurs publics, assistent aux cérémonies financées par la corruption, récitent des prières pendant que le peuple s’enfonce dans la boue et le désespoir. Où sont leurs sermons contre l’impunité, l’insalubrité, le détournement du bien commun ? Où est la voix du Prophète, du Christ ou des Écritures quand la dignité humaine est ainsi piétinée ?
Cette inondation n’est pas une surprise. C’est une répétition macabre. Un désastre annoncé, provoqué, entretenu. Tant qu’on continuera à laisser les mêmes acteurs agir impunément, tant que les citoyens resteront passifs ou complaisants, tant qu’aucun responsable ne sera puni, les morts reviendront à chaque saison.
Il faut cesser de pleurer nos morts en silence. Il faut nommer les responsables. Il faut exiger des comptes. Sinon, chaque goutte de pluie sera un rappel sanglant de notre lâcheté collective.
Par Saa Samuel Millimouno, Consultant, Spécialiste du Suivi et Évaluation