Le commentaire portant sur la présente note de réflexion, intitulée « Présentation de l’avant-projet de constitution : quelle lecture juridique et politique en faire ? » est rédigée par Alexandre Naîny Bérété, juriste à l’Université de Nantes en France et publiée sur les sites guinéens. Elle se veut d’être une contribution à l’avant-projet de la nouvelle Constitution guinéenne. Sans être exhaustive, elle aborde certains thèmes principaux de cet avant-projet dans une approche de critique du droit, tout en faisant des propositions de solutions. Elle s’articule autour d’une introduction et d’un corps composé des droits et devoirs nouveaux ; des institutions nouvelles consacrées ; de la nature du régime politique instauré par l’avant-projet ; de la limite d’âge et du mode de révision de la constitution.
Afin de mieux cerner la problématique de cette note, suivons cette structuration du texte qui donne en soi le plan de son commentaire ainsi que ses idées essentielles. De manière intéractive, analysons la note on donnant en même temps son ratio legis, c’est-à-dire, sa raison d’être, la finalité voulue par son auteur ou le but poursuivi. Ce qui va nous obliger de sortir un peu du texte et de chercher tout ce qui lui gravite autour. C’est ainsi que, sur la base des critiques objectives, on va rechercher son environnement juridique, social, économique, politique et même moral, ainsi que l’état du droit avant sa rédaction et sa correlation avec ce dernier. Le travail d’analyse va se terminer par une série de recommandations formulées à partir du texte.
I – Commentaire de la note de réflexion
Reprenons ici la structuration de la note, en étudiant le sens du texte, en l’explicitant et en le critiquant à partir d’éléments de comparaison, démarche voulue par l’auteur.
1 – Sur les éléments introductifs
Dès les propos introductifs, l’auteur met en avant la coïncidence étonnante de la publication de l’avant-projet de la nouvelle Constitution avec le climat délétère lié au respect du calendrier de la transition convenu entre les autorités guinéennes et la CEDEAO pour marquer la fin de la transition.
Sur ce premier aspect, il convient de rappeler que ce chronogramme élaboré pour marquer la fin de la transition est dynamique quand on se rapporte à son contenu et qu’on l’analyse, non pas partiellement, mais de manière complète. L’auteur aurait dû faire cette analyse pour compléter ses propos.
L’auteur reconnait tout de même que cette publication de l’avant-projet de la nouvelle Constitution est le premier acte posé parmi les dix (10) commandements devant sanctionner la fin de la transition. Ce qui est salutaire pour le CNT, il le reconnait, certes implicitement. Il procède ensuite à la définition de la constitution. Nul besoin de revenir sur ces aspects classiques.
L’auteur trouve en revanche curieuse la présentation de l’avant-projet de la nouvelle Constitution, préférant d’abord le terme avant-proposition à celui utilisé. Il s’agit là d’un débat sémantique des juristes sans qu’aucun texte ne l’exige. C’est le regard des puristes de la rigueur sémantique sur la dichotomie projet versus proposition de texte suivant le statut de son initiateur. Curieux également pour lui, car la présentation faite de l’avant-projet ne donnait pas la structuration jusqu’aux articles, en ce sens, dit-il, il s’agit d’un projet qui est censé recevoir des amendements sur le contenu des articles. Certainement, son regard a dû changer depuis la mise en ligne du document complet. N’insistons pas sur cet aspect outre mesure.
De ces propos introductifs, M. Bérété met en épigraphe la problématique de sa note qui porte sur le contenu de l’avant-projet de la nouvelle Constitution. Il cherche à savoir si ce dernier apporte un équilibre entre les pouvoirs ou s’il apporte la stabilité politique et institutionnelle dont la Guinée a besoin. Il apportera les éléments de réponse dans les développements.
2 – Sur les droits et devoirs nouveaux
Notons ici avec regret que sur bien des droits et devoirs du citoyen abordés par l’avant-projet de la nouvelle Constitution, l’auteur n’y voit pas d’innovations majeures. Pour lui, le constituant guinéen de 2024 s’inscrit dans l’histoire constitutionnelle de la Guinée depuis la première République. Il affirme par conséquent qu’il s’agit d’une constante qui est observée.
Tout de même, il reconnait la volonté du constituant de 2024 de consacrer certains droits comme le droit de pétition des citoyens, le droit d’accès à la couverture santé universelle, le droit de la candidature indépendante, de l’école obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans et le droit à un environnement sain. Sur ces deux derniers, il note que la Constitution de 2020 s’était déjà prononcée, donc pas d’innovations à mettre en exergue.
De ce qui précède, l’auteur doit sincèrement reconnaitre le caractère innovant de l’avant-projet de la nouvelle Constitution sur certains droits des citoyens. Tous les droits cités, outre les deux derniers, n’existaient explicitement pas dans aucune des constitutions guinéennes depuis l’indépendance. Et il ne s’agit pas non plus des droits mineurs de sorte à banaliser leur apparition : candidature indépendante, couverture santé universelle ou encore pétition des citoyens, sont vraiment des avancées majeures dont il convient de les noter, certes pas avec l’étendard triomphaliste à la main, mais avec une certaine satisfaction.
Par ailleurs, on regrettera que l’auteur n’ait pu aborder ici les devoirs nouveaux quand bien même ceux-ci avaient été annoncés dans le titre.
3 – Sur les institutions nouvelles consacrées
Au titre des institutions, l’auteur reconnait que la principale nouveauté est la mise en place d’un parlement bicaméral : Assemblée nationale et Sénat. Alors que cette option est saluée par beaucoup d’observateurs, M. Bérété ne semble pas s’inscrire dans cette dynamique. Il fustige d’ailleurs l’option du bicamérisme en Guinée. Il avance des arguments qui pourraient convaincre en ce sens qu’il rappelle d’abord que ce type de parlement n’est souvent propre que dans le cadre du fédéralisme. Il donne ensuite quelques exemples des États souhaitant supprimer la seconde chambre pour plusieurs raisons, mais toutes se résumant à son inutilité. C’est ainsi qu’il met en avant la volonté du Président français, E. Macron de supprimer le Sénat français. Pour l’auteur donc, l’existance d’une seconde chambre en Guinée est budgétivore, non représentative ou peu, moins forte pour contrecarrer ou équilibrer les pouvoirs du président de la République, arguments, entre autres, évoqués par le constituant guinéen de 2024 pour justifier l’adoption du bicaméralisme. Il propose d’abandonner cette idée, de renforcer plutôt les pouvoirs de contrôle de l’Assemblée nationale dans son rapport avec l’exécutif.
Sur cette question du bicamérisme, il faut reconnaitre que les arguments de l’auteur pourraient là encore convaincre, quoique contestables à bien des égards.
En effet, rappelons qu’il existe des parlements bicaméraux aussi bien dans des États fédéraux qu’unitaires. Les modalités du fonctionnement du bicamérisme, ses avantages et inconvénients diffèrent d’un pays à un autre. Il existe différentes formes de bicamérisme qui sont au nombre de trois : le bicamérisme fédéral, le bicamérisme sociétal et le bicamérisme politique. On constate avec regret que l’auteur n’a pas procéder à cette classification qui aurait pu davantage consolider sa position.
Le bicamérisme est donc une question de souveraineté des Etats et doit surtout être le reflet des nécessités sociopolitiques. C’est justement ce qui semble guider le choix fait par le constituant guinéen de 2024 pour un parlement bicaméral. Les réalités sociopolitiques du pays l’exigent à certains égards, de sorte que cela pourrait permettre à certains citoyens non affiliés aux partis politiques de participer dans un cadre institutionnel au débat national. Il ne s’agit pas d’une obligation que le constiuant se fait pour adopter un système bicamériste par effet de suivisme ou de mode. Il constate simplement la nécessité de ce type de parlement, car un Parlement monocaméral ne semble plus correspondre aux réalités sociopolitiques guinéennes dominées par une forme de désagrégation d’opinions sur fond de tensions partisanes.
Certes, la comparaison est souvent nécessaire mais elle a aussi ses limites auxquelles il faut prendre garde pour ne pas tomber dans un angélisme complètement irréaliste avec pour effet indésiré de dénuder la réflexion de son sens originel. En prenant l’exemple de certains pays comme la France, l’auteur semble comparer deux situations différentes, tant du point de vue culturel, sociologique que politique. D’ailleurs, la France ne semble pas encore être prête à rénoncer au bicamérisme, système d’organisation politique, incrusté dans son histoire constitutionnelle depuis la Révolution de 1789. Il est vrai qu’en France certaines voix discordantes mettent en cause le bicamérisme, se demandant s’il est vraiment nécessaire pour la démocratie, d’autres en revanche le trouvent tellement nécessaire qu’il apparait pour eux comme un gage de stabilité et d’autorité du Parlement et donc de l’équilibre institutionnel.
4 – Sur la nature du régime politique instauré par l’avant-projet de la nouvelle Constitution
Sur la nature du régime politique, l’auteur définit d’abord ce qu’est un régime politique, avant de regreter l’absence de clarification de la nature du régime politique par le constituant guinéen. Selon lui, on reste dans le régime présidentiel voire présidentialiste. S’il admet la consécration du principe de séparation des pouvoirs, toutefois, il se montre d’emblée pessimiste quant à son érosion par la pratique qui ne tardera pas à favoriser l’hégémonie d’un pouvoir, en l’occurrence l’exécutif.
Autant il a raison de dénoncer l’absence de clarification de la nature de régime politique, autant il faut saluer le choix du constituant de ne pas s’enfermer dans une typologie doctrinale (régime présidentiel ou régime parlementaire). Ce dernier a certainement eu raison de rendre le régime politique inclassable, en laissant le soin à la doctrine, à la pratique ainsi qu’aux interactions des dispositions de la constitution de s’en charger. D’ailleurs, la Constitution française, citée en exemple par l’auteur, ne procède aucunement à la classification du régime politique. Elle laisse ce travail aux trois acteurs cités plus haut, qui divergent sur la nature hybride ou mixte du régime et sur la nature parlementaire. Dans la pratique, les citoyens français trouvent ce débat rébarbatif pour qui, la France, sans nul doute, est un régime présidentiel. Seul le président de la République compte pour eux.
Aussi, l’auteur regrette le non choix pour un régime parlementaire. Il décrit ce type de régime à adapter au contexte guinéen avec beaucoup de maitrise de sorte à dépouiller de leur substance les pouvoirs du président de la République qui ne jouera finalement qu’un rôle honorifique. Certes, les mécanismes de cette diminution des pouvoirs du président de la République ont été largement proposés par les citoyens lors des différentes consultations sans qu’on ait une tendance majoritaire en faveur d’un régime parlementaire comme rémède à cet hyperprésidentialisme.
Il faut reconnaire que les arguments avancés par l’auteur possèdent tout pour plaire mais peu pour convaincre l’histoire constitutionnelle de la Guinée qui n’a connu jusque-là que des régimes à tendance présidentielle ou présidentialiste. S’il est vrai que la nouvelle Constitution se veut d’être révolutionnaire (terme emprunté à M. Aboubacara CAMARA, DirCab-PCNT), l’engouement “innovationniste” se doit d’être tempéré sur certains sujets. La proposition faite par l’auteur a vraiment l’optimisme de sa volonté mais elle ne tardera pas de rencontrer le pessimisme de la réalité guinéenne. Or, une chose est, en effet, de se doter d’un régime parlementaire, une autre d’honorer son esprit et sa finalité.
5 – Sur la limite d’âge
Ici, l’analyse partage sans réserve la réflexion de l’auteur qui rappelle à juste titre que la majorité civile est fixée à 18 ans en Guinée. Par conséquent, il n’est nul besoin ni de plancher ni de plafonner l’âge pour se présenter à toute forme d’élections. Néanmoins, ce bornage est fait certes en tenant compte de certains critères notamment la sagesse ou l’expérience, mais faut-il rappeler qu’il ne s’agit pas là des critères objectifs. Laissons ce choix aux seuls citoyens (auteur de la souveraineté). Ailleurs dans la sous-région africaine, c’est la majorité civile, en France c’est être âgé d’au moins 18 ans.
6 – Sur le mode de révision de la constitution présenté dans l’avant-projet de la nouvelle Constitution
Ici, l’auteur fustige le choix sur la limite temporelle de la révision de la constitution fixée à 30 ans. Il s’agit là de l’une des limites formelles de la révision de la constitution. Ses arguments sont séduisants en ce sens qu’ils rappelent au constituant guinéen d’avoir fait preuve de peu d’attention sur la fragilité des textes constitutionnels, d’une part, et de prétendre constitutionnaliser l’avenir, d’autre part.
Autant il faut reconnaitre le caractère tentant de ses arguments, autant il faut le soupçonner, (juriste guinéen vivant en France, rires) d’être sous l’influence de l’article 28 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) du 26 août 1789, qui dispose en substance qu’une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures.
On reconnait certes, les vertus salvifiques de ces dispositions pour les intérêts constitutionnels des générations futures, mais ici, le choix du CNT est juste et raisonnable. En droit constitutionnel, un tel choix renvoie à la temporalité constitutionnelle qui n’est pas à confondre avec la temporalité juridique, selon cette dernière les objets ont une durée indépendante des régimes politiques. Par exemple, les lois ont une durée plus longue que le Ministre. Mieux, la première constitution écrite de la France de 1791, tout juste deux ans après la Révolution, a prévu l’impossibilité de sa propore révision avant une période de dix (10) ans. Doit-on y voir une contradiction avec l’article 28 de la DDHC de 1789 cité plus haut ? L’auteur aurait dû faire ce contraste pour encore compléter ses admirables réflexions.
II – Recommandations
À l’issue de la lecture de la présente note, quelques recommandations peuvent être formulées:
– Approfondir les interactions sur l’option du bicamérisme en prenant en compte quelques observations de l’auteur
– Ouvrir le débat sur la limite d’âge pour toutes les élections en ne se fondant que sur la majorité civile, comme dit, l’âge n’est qu’un chiffre, la sagesse n’y dépend pas forcement
– Ouvrir le débat sur la nature du régime politique, notamment sur le régime parlementaire, car selon l’auteur, le président du Conseil National de la Transition (CNT), avait exprimé la volonté de donner à la Guinée un régime parlementaire, ne serait-ce que pour cette raison.
Dr Kalil Aissata KEITA
Conseiller du Président du CNT, chargé des questions Institutionnelles et Administratives