Le chef de l’Etat Macky Sall a annoncé le lundi 26 février 2024, lors du dialogue national, un projet de loi d’amnistie qui visera les faits survenus au cours de différents épisodes de troubles notés depuis 2021, et encore récemment en février 2024.
La loi d’amnistie qu’il présentera, le mercredi 28 février 2024, en Conseil des ministres, sera soumise à l’Assemblée nationale précisément « dans un esprit de réconciliation nationale » pour surmonter les profondes divisions des dernières années, patentes avec l’actuel imbroglio électoral.
Il faut rappeler que l’adoption de cette loi d’amnistie privera les victimes de leurs droits de demander justice et renforce l’impunité au Sénégal. Si cette loi est adoptée, elle retire la possibilité d’engager des poursuites à la suite de la violente répression menée par les forces de l’ordre lors des manifestations organisées par la société civile et les partis de l’opposition, de 2021 à 2024.
A notre bon souvenir, durant ces événements des personnes ont été tuées lors des manifestations et des émeutes qui ont duré plusieurs jours. Certains manifestants sont morts suite à des coups de feu tirés par les forces de défense et de sécurité. Un mois après les événements, les autorités sénégalaises ont annoncé qu’une commission impartiale serait mise en place pour enquêter sur la mort de ces manifestants, mais que nenni !
Aucune information n’a été rendue publique sur les poursuites judiciaires annoncées par les autorités, et il n’est pas clair, non plus, si des enquêtes ont effectivement été ouvertes. Les personnes responsables de ces décès sont encore libres.
Nous avons les souvenirs frais de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar qui a pris des airs de champ de bataille. Plusieurs bus de la faculté de médecine, du département d’histoire et de la principale école de journalisme du pays ont été incendiés et des bureaux saccagés. La quasi-totalité du parc roulant de l’université a été mis à genoux. Il en est de même pour une bonne partie des salles et amphithéâtres qui sont hors usages. C’est aussi valabe pour les archives des étudiants, des diplômés et de l’administration, notamment à la Faculté de Médecine et à la Faculté des Lettres et sciences humaines. Donc, après l’adoption de cette loi d’amnistie du président Macky Sall, il n’y aurait plus de responsables de ces actes barbares d’une autre époque. Ce sera tabula rasa, on efface tout !
Monsieur le président de la République, nous n’avons pas oublié des violences ayant entraîné des destructions sur des biens publics et privés, de magasins, de stations essence, caserne de gendarmerie, et des instruments de fournitures d’eau et d’électricité. Des décès enregistrés notamment à Dakar, à Ziguinchor, à Mbour, à Kaolack et à Saint-Louis sont restés encrer comme une encre indélébile dans notre conscience.
Monsieur le président vous voulez faire fissa afin de faire voter ce projet de loi d’amnistie à l’Assemblée nationale, mais sachez que nous n’accepterons pas que les présumés auteurs de l’attaque d’incendie meurtrier du bus Tata à Yarakh qui a coûté la vie à 2 jeunes filles reste impunie.
Nous ne sommes pas amnésiques à point d’oublier des vidéos et des images qui ont circulé sur les réseaux sociaux montrant des dizaines de véhicules, notamment des pick-ups blancs non immatriculés, transportant plusieurs nervis armés qui réprimandaient, violentaient, bastonnaient et arrêtaient des manifestants dans les foyers de tension, aux vues et aux sus des forces de l’ordre.
Nous ne disons pas que nous ne devons pas nous réconcilier, mais n’oublions pas que ce projet de loi d’amnistie constitue un affront aux principes fondamentaux de l’État de droit. Cette loi est en contradiction aussi bien avec les principes des droits humains des partenaires du Sénégal qu’avec les propres obligations de votre gouvernement vis-à-vis du Peuple sénégalais.
Les autorités sénégalaises doivent garantir que les forces de défense et de sécurité respectent et protègent le droit à la vie et le droit à la réunion pacifique de la population sénégalaise en conformité avec les lignes directrices de la Commission Africaine des droits de l’Homme et des Peuples pour le maintien de l’ordre par les agents chargés de l’application des lois lors des réunions en Afrique. Lors des manifestations, celles-ci ne doivent avoir recours à la force que de manière exceptionnelle et proportionnée, et en particulier ne doivent avoir recours à l’utilisation d’armes à feu que lorsqu’il y a danger imminent pour leur vie ou la vie d’autrui. Toute violation par un membre des forces de défense ou de sécurité doit faire l’objet d’enquêtes, de poursuites et doit être punie.
La démarche à suivre Monsieur le président de la République est que les autorités judiciaires doivent diligenter l’enquête sur les violations commises par les forces de défense ou de sécurité durant les manifestations pour qu’elle arrive à son terme le plus rapidement possible, que les responsabilités soient clairement établies, et que des réparations soient envisagées pour les familles éplorées par le biais de procédures civiles et que les autorités pourraient également mettre en place un système d’indemnisation à l’avenir. Les malfrats qui sont responsables des saccages des biens publics et privés soient reconnus et jugés.
Après tous ces actes posés, nous pouvons, par la suite, penser à mettre en place une commission de vérité et de réconciliation en vue de retisser le tissu social sénégalais qui est foncièrement décousu à l’état actuel. Cette commission peut, concrètement, permettre aux auteurs d’exaction d’avouer leurs forfaits et à exprimer leur repentir devant les victimes ou familles concernées. Cette démarche permettra au Sénégal de sortir de cette crise profonde et d’éviter que de tels faits ne se reproduisent à l’avenir.
Dr Landing BIAYE
Enseignant Chercheur
Ancien Assistant parlementaire à l’Assemblée nationale du Sénégal