Pour être honnête avec vous, ce titre n’est pas de moi ; mais de la campagne présidentielle réussie de Bill Clinton contre le Président sortant Georges Bush senior en 1992. Souvenez-vous de Bill (pas de Sam bien sûr ; mais d’Hilary), cet ancien locataire de la maison blanche dont la fin du règne a été ponctuée de scandales lubriques à répétition ? Correct ! Il s’agit bien de lui. L’expression aurait été inventée par James Carville, un stratège de ladite campagne. Elle s’adressait aux autres membres de campagne qui tergiversaient autour d’autres thèmes qu’ils considéraient prioritaires à un moment où James estimait que parmi les messages clé à faire passer il y avait « l’économie », suite à la récession intervenue en 1992. Ainsi, il aurait prononcé avec véhémence son fameux « c’est l’économie…. Stupide » à l’endroit de ceux-ci. Comme vous le comprenez, Monsieur Carville n’a pas exactement parlé de gouvernance, ni de l’ordre constitutionnel, mais d’économie. C’est donc une métaphore de sa célèbre phrase, rendue publique lors d’une boutade télévisée, que j’utilise pour peindre ma compréhension de la situation socio-politique de notre pays depuis belle lurette.
Pour la petite histoire, Cap sur un tiers de siècle plus tôt. On est en 1990. Une année avant, en 1989, le mur de Berlin s’écroulait ; mettant symboliquement fin à plus de 40 ans de guerre froide entre l’Est, sous l’égide de l’URSS et l’Ouest, sous celle des Etats-Unis d’Amérique. Au plan diplomatique, la guerre froide était caractérisée par une folle compétition idéologique entre les deux blocs pour la conquête des esprits et cœurs des pays dits non-alignés, dont les pays africains. Ainsi, les deux blocs draguaient cyniquement les gouvernants de ces pays, sans égards pour leurs natures (démocratique ou non), ni pour leurs comportements. L’essentiel étant d’avoir autant d’alliés que possible. Au même moment, les régimes communistes de l’Europe centrale de et de l’Est s’émancipaient de l’empire soviétique. La survenance de ces deux événements historiques majeurs a signifié pour les deux blocs la redéfinition de leurs priorités géostratégiques.
C’est dans ce contexte historique pour le moins très agité que le 16è sommet France-Afrique eut lieu. Lors de ce sommet tenu le 20 juin 1990, le Président français, François Mitterrand, a prononcé un discours à la fois prémonitoire et opportuniste, que l’on appelle depuis le «discours de la Baule ». Les passages clé du discours subjuguent désormais l’aide publique importante, en pleine crise de la dette, à une « démocratisation » par un passage au « multipartisme ». Ce discours était prémonitoire en ce sens qu’il constituerait le référentiel des revendications politiques en Afrique dans les plus de 3 décennies qui allaient suivre à nos jours. Il était également opportuniste en ce sens qu’il permettait à la France, à bout du souffle, de s’auto ’alléger le poids financier de l’aide publique en Afrique – sans encombre.
Qu’en est-il de la fameuse démocratie dans notre Guinée d’aujourd’hui, un tiers de siècle plus tard? D’ailleurs que signifie-t-elle réellement? J’entends et je suis d’accord qu’étymologiquement elle signifie le pouvoir du peuple. Mais, que signifie réellement pouvoir du peuple ? Un mot sur ce sujet contentieux un peu plus tard.
En attendant, l’histoire de la pensée philosophico-politique montre qu’au-delà des multitudes de perceptions que les individus peuvent en avoir, la réalité de la démocratie n’est pas aussi vertueuse qu’elle apparait dans la psyché collective de ce que Karl Marx appelle l’Homme du peuple.
Dans son ouvrage majeur intitulé La République, Platon parait clairement suspicieux de la démocratie, qu’il qualifie d’un régime politique instable dirigé par un peuple d’ignorants. Pour Platon, le meilleur des régimes politiques est une aristocratie, dirigée par des philosophes éduqués, où le savoir et la raison dominent.
Pour sa part, le brillant économiste libéral et philosophe politique Austro-britannique, Friedrich Hayek, la démocratie équivaut à « remettre un pouvoir illimité à un groupe de représentants élus dont les décisions sont forcément orientées par les exigences d’un processus de marchandage » et engendre un gouvernement jouet des intérêts particuliers : « Chaque groupe sera prêt à consentir même des avantages inéquitables à d’autres groupes, aux frais de la collectivité, si telle est la condition pour que les autres consentent à ce que ce groupe a appris à considérer comme son droit ». Ceci n’est pas sans rappeler les multiples conciliabules politiques à l’époque entre le RPG et l’UFDG, qui donnaient la part belle à ces deux formations, dans la désignation des Conseillers de quartiers, en incohérence avec la constitution, aux dépens des autres formations politiques et aux frais des citoyens.
Le célèbre économiste américain, chef de file des monétaristes de l’Université de Chicago, Friedman Milton, a, comme à son habitude, une idée plus pragmatique de la démocratie lorsqu’il déclare : « …….la loi résulte d’un processus démocratique souverain… dans ce processus, le souverain réel n’est pas le peuple ; mais, plutôt, celui qui détient le pouvoir de décréter l’état d’urgence… ». Clairement, Friedman conteste là la notion même de souveraineté du peuple.
A présent et comme promis plus tôt, revenons à la définition étymologique du mot « démocratie », signifiant « Pouvoir du Peuple ». Puisque le peuple n’est jamais au pouvoir, l’on considère qu’il s’agit de ‘’l’exercice du pouvoir dans l’intérêt exclusif de celui-ci’’, à travers deux dynamiques.
La première dynamique consiste en la faculté qu’a le peuple de choisir ses dirigeants aussi librement et équitablement que possible aux moyens d’un processus électoral débarrassé de tous caprices personnels. Mon opinion personnelle est que, ne serait-ce que conceptuellement, la démocratie est le meilleur système imaginable qui assure cette impartialité. Cependant, en ne se focalisant que sur cette première visée, la démocratie revient à remettre un chèque en blanc aux dirigeants pour disposer des ressources publiques comme bon leur semble. C’est malheureusement souvent le cas pour nos dirigeants.
La seconde dynamique du pouvoir du peuple consiste en ce que celui-ci exerce un contrôle sur l’action de ses dirigeants par l’entremise de ses représentants issus d’élections. En démocratie parlementaire, ces représentants siègent généralement au sein d’un organe qu’est l’Assemblée Nationale. Il en est ainsi du pouvoir des représentants du peuple à l’Assemblée Nationale de décider des grandes orientations de la Nation: l’orientation diplomatique du pays, la politique d’assistance sociale, la nature et le volume d’investissements dans l’éducation, dans la santé, dans les forces armées, etc. Quoi qu’il en soit, ce pouvoir peut ultimement être ramené à la faculté d’acquérir et d’utiliser les ressources publiques dans des projets et programmes supposés reflétés les aspirations du peuple.
A présent, examinons le cas guinéen sous le prisme des considérations décrites plus haut.
Depuis le coup d’Etat qui a renversé le régime du Président Alpha Condé le 05 septembre 2021, et comme l’accoutumée, des voix se font entendre pour un retour à l’ordre constitutionnel. Voulant savoir ce que signifie l’ordre constitutionnel, j’ai surfé sur Google. Croyez-moi, je n’y ai rien trouvé de clair. Il est possible que j’aie mal posé la question. Il est aussi possible que cet habituel assistant amical ait décidé qu’il n’a pas de temps pour ce genre de distractions. J’ai donc décidé d’en référer à un de mes potes, professionnel de Droit.
Le retour à l’ordre constitutionnel signifie, me dit-il, la restauration des institutions ainsi que la constitution qui avaient été suspendues immédiatement après le coup d’Etat militaire.
Comment revenir donc à l’ordre constitutionnel ?, poursuivis-je.
Il faut soit remettre à sa place le Président déchu (cas du Niger et, probablement dans les prochains jours, cas du Gabon, prochain casse-tête), ou organiser de nouvelles élections (cas de la Guinée, du Mali et du Burkina), m’apprit mon ami.
L’ordre constitutionnel équivaut donc à la démocratie, rétorquai-je.
En quelque sorte oui, me répondit mon pote, en tournant son regard ailleurs, me donnant l’impression que ça suffit, sans savoir que j’en convenais parfaitement avec cette compréhension. En effet, je suspectais moi-même que l’ordre constitutionnel était une autre appellation de la démocratie.
Ignorant donc délibérément les signes de grimace chez mon ami, j’ai décidé de continuer.
Alors, mon ami, puisque l’ordre constitutionnel équivaut à la démocratie, j’ai deux dernières questions, poursuivis-je :
La première est de savoir pourquoi on parle désormais d’ordre constitutionnel plutôt que de démocratie.
La deuxième est de savoir s’il y avait démocratie sous l’ère du Président Alpha Condé.
Me fixant d’un air sympathique en remuant sa tête, probablement pour dire que je suis intraitable, mon ami me proposa calmement de débattre de ces questions lors d’une prochaine session. Trop impatient, j’ai décidé de spéculer sur les réponses aux deux questions, en attendant l’hypothétique prochaine session.
Sur la première question, je me suis évertué à me forger ma petite idée. J’image qu’après un tiers de siècle de lutte pour la démocratie sans issue, ses enseignants ont décidé qu’il est temps d’utiliser un autre vocable afin de ne donner l’impression de tourner en rond. Il est aussi possible que ce soit pour ne pas être tourné en dérision au regard d’une puissance comme la Chine qui a réussi à passer, en l’espace de 4 décennies, du statut de puissance mineure sur la scène internationale à celui de deuxième puissance économique mondiale qu’on préfère désormais utiliser un autre vocable. En effet, en près de quatre décennies, le PIB chinois a été multiplié par 37, passant de 305 milliards de dollars en 1980 à 12.725 milliards de dollars en 2017. La part de la Chine dans le PIB mondial (PPA, dollars courants) est passée de 1,7% en 1980 à plus de 18% en 2022 ; soit 10 fois plus. Vous savez quoi ? Tout çà à l’abri des yeux hagards de la démocratie. Ce n’est donc pas étonnant si le débat quant à savoir si c’est la démocratie qui favorise le développement ou si c’est plutôt l’inverse est loin d’être clos ou, tout simplement, ne fait que commencer.
Sur la deuxième question, à savoir s’il y avait démocratie sous l’ère du Président Alpha Condé, j’ai aussi ma petite idée, sur la base des critères précédemment définis que sont l’intégrité du processus électoral qui l’a porté au pouvoir et l’exercice de ce pouvoir dans l’intérêt exclusif du peuple.
Sur la question de l’intégrité du processus qui a porté le Président Alpha au pouvoir, je n’ai vraiment pas envie de rentrer dans les polémiques infructueuses. Mais, à en juger par les réactions de son challengeur éternel de tous les scrutins, le Premier Ministre Cellou, Alpha n’a jamais gagné une élection contre lui. Cela peut paraitre anodin ou non évènementiel pour ceux qui pensent le contraire. Et Dieu sait qu’il y en a plein. Seulement, je me souviens encore d’un captivant article écrit à l’époque par Béchir Ben Yahmed, fondateur de l’hebdomadaire Jeune Afrique. Dans cet article, Monsieur Yahmed écrivait, s’inspirant probablement du modèle occidental, que « …la démocratie consiste en ce que le candidat battu à une élection félicite le vainqueur ». Comme pour dire que les contestations du leader de l’UFDG, quoi que l’on pense, sont à prendre au sérieux. Evidemment, j’ignore ce que cette figure de proue du journalisme africain avait fait plus tard des félicitations adressées par le feu M. Mamadou Bhoye Barry, un obscure leader politique à l’époque, à un certain Lansana Conté, suite à l’élection présidentielle de 2003, boycottée par tous les principaux partis politiques de l’opposition. En tout état de cause, quand nos leaders politiques continuent de clamer le retour à l’ordre constitutionnel, ont-ils un autre modèle en tête ou tout simplement préfèrent-ils un bis repetita de la démocratie à la manière Alpha Condé à une refondation au style du Colonel Mamadi Doumbouya. N’étaient-ce pas eux-mêmes qui avaient adoubé au départ le Colonel qui avait brutalement et, diront-ils, illégalement, mis un terme au règne de l’éternel démocrate Alpha? Pourquoi ce regain soudain pour la démocratie chez eux, alors même qu’ils ont passé plus de dix ans à remettre en cause celle-ci sous le règne du Big democrat Alpha Condé ? Auraient-ils déjà oublié cela ? Or, c’est une platitude de dire que, comme l’a noté George Santayana, ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le répéter.
Sur la question de l’exercice du pouvoir dans l’intérêt exclusif du peuple, on y est. Dans un article intitulé ‘le larmoyant plaidoyer d’Elhadj Cellou pour la moralité’, je déclarais, et je le maintiens encore, que « ….face à la pire présidence que le pays ait connue, la Guinée a produit la pire opposition de ma vie d’adulte ». Pendant plus de 10 ans de règne de Monsieur Alpha, la gouvernance était caractérisée par une opacité et un bradage des ressources publiques sans précédent. L’une des lois phares des finances demeure la loi des règlements. C’est cette loi qui permet de vérifier si l’autorisation parlementaire, en termes de lois de finances initiale et rectificatives a été formellement respectée. Elle peut s’étendre à des sujets aussi divers et variés que des dispositions sur l’information et le contrôle des finances publiques, la comptabilité et la responsabilité des agents. Cette loi est l’un des moyens sûrs à la disposition des citoyens, par le biais de leurs représentants à l’Assemblée, de s’assurer que le pouvoir est exercé dans leur intérêt. Dès lors, pourquoi, pendant plus de 10 ans de gouvernance d’Alpha, nos grands démocrates de politiciens de l’opposition n’ont-ils jamais exigé la mise en application d’une telle loi ? Serait-ce parce qu’ils ne sont intéressés, eux, que par l’accession au pouvoir que pour son exercice vertueux? Pourquoi, pendant plus de dix ans, n’ont-ils jamais appelé le peuple à sévir contre l’aliénation manifeste des ressources publiques pendant la gouvernance d’Alpha? Serait-ce parce qu’ils sont si anxieux du passif de leurs propres gouvernances qu’ils ont choisi de passer cette question en pertes et profits ?
Après tout, suis-je contre la démocratie ou l’ordre constitutionnel (sa nouvelle appellation) ? Non, Mesdames et Messieurs ! Je préfère nuancer, en ne considérant pas la démocratie comme une fin en soi. En cela, je suis heureux de m’imaginer parmi les adeptes de Winston Churchill sans doute le plus grand Premier Ministre de l’histoire britannique quand il déclare, à son inimitable façon, que « la démocratie est la pire forme de gouvernance, à l’exception de toutes les autres ». J’ajouterai qu‘« on nous enseigné à tort, lors du sommet de la Baule, de prendre soin de notre démocratie et que celle-ci prendra soin de notre développement. Etant donné que celle-ci n’a pu prendre soin de celui-là, inversons la démarche et prenons soin de notre développement et voyons si celui-ci prendra soin de celle-là ».
Mamadi Sitan Keita
Consultant International, Spécialiste du Développement Economique et Social
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