En ce 2 octobre, impossible d’oublier ce moment où la Guinée osa briser ses chaînes. En 1958, face aux hésitations et aux calculs, notre peuple fit un choix sans détour. Il dit NON à la soumission, et ce NON devint un OUI retentissant à la liberté, à la dignité et à la souveraineté. Ce jour-là, la Guinée ne sortit pas seulement de l’ombre coloniale. Elle ouvrit la voie pour toute une Afrique en quête de renaissance.
Le NON de 1958 ne surgit pas de nulle part. Il était le fruit d’une longue histoire. Nos ancêtres, bien avant la conquête coloniale, avaient construit des royaumes, des chefferies, des systèmes sociaux où l’équilibre et la solidarité faisaient loi. Le colonisateur a tenté d’ébranler cet édifice, mais il n’a jamais réussi à briser la conscience profonde d’un peuple fier. Quand Sékou Touré et ses compagnons prirent la parole pour refuser la communauté française, ils savaient qu’ils portaient la mémoire des résistants d’hier. De Samory Touré à Alpha Yaya Diallo, des femmes anonymes aux combattants tombés dans l’oubli, tous avaient déjà inscrit dans la chair de notre histoire cette conviction : la liberté se conquiert, elle ne se mendie pas.
Ce NON, il faut se le rappeler, coûta cher. L’aide française fut brutalement coupée. L’administration coloniale plia bagage, en emportant jusqu’aux ampoules électriques. Mais ce vide ne nous a pas terrassés. Il nous a poussés à inventer, à produire, à trouver dans nos propres forces la voie de la survie. Cette endurance, ce courage collectif, voilà l’ADN de la Guinée indépendante. Soixante-sept ans après, nous avons parfois tendance à réduire ce moment à un simple chapitre d’histoire. Erreur fatale. Le NON de 1958 n’est pas une relique, c’est un rappel permanent. C’est un contrat moral avec nos devanciers : rester dignes de leur sacrifice.
Aujourd’hui, ce contrat nous engage. Notre génération ne peut pas se contenter de réciter le passé comme une litanie. Elle doit écrire l’avenir avec la même audace. Les défis sont nombreux. Ils ne sont plus coloniaux, mais ils sont tout aussi exigeants. La jeunesse guinéenne réclame une éducation de qualité, adaptée aux réalités du siècle. Nos travailleurs attendent une économie qui ne les condamne pas à l’informel ou à l’exil. Nos mères et nos sœurs aspirent à des services de santé dignes, accessibles et respectueux. Nos paysans veulent que leur sueur ne soit pas dilapidée par des circuits de corruption et d’abandon. Si nous trahissons ces attentes, alors nous trahissons le NON de 1958.
L’indépendance fut conquise dans l’unité. Sans discipline, sans cohésion, sans solidarité entre les ethnies, les régions et les classes sociales, le pari aurait été impossible. Aujourd’hui encore, l’unité est notre plus grande arme. Or, que voyons-nous trop souvent? Des discours qui divisent, des manœuvres politiciennes qui attisent les rancunes, des calculs qui préfèrent la parcelle de pouvoir à la grandeur de la nation. Cela n’est pas digne de notre héritage. Un pays qui se déchire sur ses identités secondaires oublie l’essentiel : la patrie est plus vaste que nos appartenances particulières.
La liberté proclamée en 1958 n’a de sens que si elle se traduit dans la gouvernance. Elle n’est pas un slogan. Elle est une pratique. Or, la Guinée a connu, depuis son indépendance, des cycles de confiscation du pouvoir, de promesses trahies et d’élans populaires brisés. Mais chaque fois, le peuple a résisté. Chaque fois, il a rappelé que la liberté ne s’éteint pas sous les bottes, qu’elle renaît toujours dans les rues, dans les urnes, dans la voix des sans-voix. C’est ce souffle qu’il nous faut protéger. L’indépendance n’est pas seulement une affaire d’hier. Elle se mesure à la capacité de nos institutions à garantir justice, vérité et transparence.
Être digne de 1958, c’est plus qu’un rituel de défilés. C’est refuser la corruption qui gangrène nos administrations. C’est combattre la médiocrité érigée en système. C’est oser récompenser le mérite et sanctionner l’abus. Être digne de 1958, c’est élever la culture guinéenne au rang qu’elle mérite, sur les scènes du monde. C’est promouvoir la musique, la littérature, l’art comme instruments de liberté. Car l’indépendance n’est pas seulement politique, elle est aussi culturelle. Être digne de 1958, c’est respecter les droits des femmes, des enfants, des minorités. Car une nation qui exclut une partie de ses citoyens se condamne à l’inachevé.
Nos défis actuels dépassent les frontières. Ils sont globaux. Le climat, les migrations, les bouleversements économiques exigent une Guinée forte, moderne, capable d’innover sans renier son identité. L’esprit du NON doit inspirer une nouvelle audace : refuser la fatalité du sous-développement, dire NON à la dépendance économique, dire NON à la résignation. La Guinée a des ressources immenses. Mais la plus grande richesse, ce ne sont pas nos mines. C’est notre peuple. La jeunesse qui déborde d’énergie, la diaspora qui pulse d’intelligence, les communautés qui gardent vivante la solidarité : voilà notre véritable trésor.
Chaque 2 octobre doit être une halte, non pour se reposer, mais pour se rappeler la route. L’indépendance n’est pas un musée. Elle est un chantier. Les pierres posées par Sékou Touré et ses compagnons ne suffisent pas à bâtir l’édifice. C’est à nous d’élever les murs, d’ouvrir les fenêtres, de tracer les ponts. Ne laissons pas la mémoire se réduire aux discours officiels. Rendons-la vivante dans nos écoles, dans nos familles, dans nos pratiques politiques. Que chaque enfant de Guinée sache que le 2 octobre n’est pas une date figée, mais une graine qui doit continuer de germer.
Ce 2 octobre ne doit pas être une parade pour flatter les vanités au pouvoir. L’indépendance n’est pas une scène de théâtre où l’on joue au patriote le temps d’un défilé. Elle est un contrat de sang signé par des martyrs, un pacte de dignité qui oblige. Trahir cet héritage, c’est se condamner à n’être qu’un figurant ridicule dans l’histoire d’un peuple plus grand que ses dirigeants.
Kaba 1er
Natif de kankan